Le 14 mars 2025
Mêlant onirisme et réalisme, ce long métrage arrive à fasciner avec une économie de moyens, et utilise avec habileté une expression poétique issue de la culture afro-colombienne.


- Réalisateur : Santiago Lozano Álvarez
- Acteurs : Carol Hurtado, Jesús María Mina, Fernando del Razo
- Genre : Drame, Fantastique
- Nationalité : Français, Allemand, Mexicain, Colombien
- Distributeur : Dublin Films
- Durée : 1h27mn
- Titre original : Yo vi tres luces negras
- Date de sortie : 19 mars 2025
- Festival : Festival de Berlin 2024

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Résumé : José de Los Santos, soixante-dix ans, s’occupe des rituels funéraires dans son village près de la rivière San Juan. Un jour, son fils défunt lui annonce sa mort et l’enjoint à en trouver le chemin. Il part en voyage dans la jungle. Au milieu d’une guerre qui s’éternise, il doit rester en vie pour pouvoir atteindre le lieu de son repos éternel.
Critique : J’ai vu trois lumières noires est le second long métrage de Santiago Lozano Álvarez, professeur à l’école de cinéma de l’Universidad Autónoma de Occidente, et dont le premier film, Siembra, avait été remarqué à Locarno et à Cinélatino Toulouse. La présente œuvre a pu voir le jour grâce à la Cinéfondation du Festival de Cannes et a été présentée au Festival de Berlin 2024 (section Panorama). À la fois onirique, réaliste et allégorique, le récit relate le combat d’un septuagénaire pour terminer ses jours paisiblement. José de Los Santos habite un village de la côte pacifique colombienne. Il est spécialiste des rites funéraires : conservation des corps, prières, accompagnement dans l’au-delà ; tout en étant guérisseur à ses heures. Son art est hérité des traditions inhérentes à sa communauté, lui qui est le descendant d’esclaves africains ayant vécu en Colombie. Le film prend une tournure surnaturelle avec l’irruption du fantôme de son fils, qui lui annonce sa mort, et le supplie de venir mourir dans la jungle, paisiblement. Le parcours de José sera semé d’embuches, avec l’irruption de groupes armés illégaux qui pourraient le tuer. Or, une mort violente ne pourrait le mener qu’au purgatoire…
- © 2024 Christian Velasquez / Contravía Films. Tous droits réservés.
Le long métrage trouve un juste équilibre entre le naturalisme narratif et le fantastique discret, tout en dénonçant la corruption, tant économique que politique, qui porte préjudice à un pays, la Colombie, menacé de surcroît par l’atteinte à l’environnement. Le décor de la jungle est admirablement utilisé, et le réalisateur tient à préciser dans le dossier de presse : « M’enfoncer encore et encore dans l’épaisseur de la jungle m’a permis de voyager dans mon esprit, pour construire des mondes et des histoires possibles sur ce qui a pu et pourrait s’y produire. Et cette sensation, je ne la perçois pas seulement à travers mon expérience de l’habiter et de la parcourir, mais aussi à travers les voix de ceux qui se sont donné pour mission de la raconter, depuis les premiers chroniqueurs de la conquête, tous plongés dans un scénario de découverte qui, en réalité, se transforme en révélation. Car la jungle n’est pas un territoire que l’on découvre, mais un territoire qui se révèle à ceux qui s’y immergent. C’est là que j’ai compris l’expérience vécue par le protagoniste de ce film ».
- © 2024 Christian Velasquez / Contravía Films. Tous droits réservés.
Le film séduit du coup par son aspect visuel, et ce dès l’ouverture, avec un plan panoramique au cœur de la forêt vierge, sur laquelle plane la brume. Le cinéaste crée avec habileté une atmosphère envoûtante, même si on est loin de la force d’Apocalypse Now ou de The Lost City of Z, modèles du genre ayant exploré un décor naturel similaire. Car J’ai vu trois lumières noires n’évite pas toujours les conventions du film de festival, contemplatif et politiquement correct. Cette réserve étant précisée, le film est indiscutablement d’un bon niveau, pour le scénario comme la mise en scène. Et il confirme la singularité d’un réalisateur fidèle à sa thématique et son style intransigeant.