Le 23 mars 2010
- Réalisateur : Tim Burton
- Plus d'informations : Le site officiel
De grosses lunettes, façon Willy Wonka, Tim Burton explique le défi de la 3D sur Alice au pays des merveilles, son rapport à l’œuvre de Lewis Caroll et s’interroge passionnément sur le lien étroit entre onirisme et réalité. Retour sur sa conférence de presse, à Paris, à l’occasion de la sortie d’Alice au pays des merveilles.
De grosses lunettes, façon Willy Wonka, Tim Burton explique le défi de la 3D sur Alice au pays des merveilles, son rapport à l’œuvre de Lewis Caroll et s’interroge passionnément sur le lien étroit entre onirisme et réalité. Retour sur sa conférence de presse, à Paris, à l’occasion de la sortie d’Alice au pays des merveilles.
Le défi 3D
Vous aimez beaucoup les effets spéciaux traditionnels, la stop motion ; vous avez tendance à vous méfier des images de synthèse. Pour Alice, vous utilisez des techniques extrêmement complexes, élaborées et modernes. Est-ce que votre regard a changé par rapport aux effets spéciaux ?
En réalité, c’est vrai que je ne suis fou de technique ou de technologie. Ma préférence, à l’origine, va davantage à la prise de vue réelle et à la stop motion parce que j’aime toucher les choses ; le monde virtuel est quelque-chose que je trouve donc plus difficile à appréhender. Mais, en même temps, dans ce film, nous avons utilisé des techniques très différentes que nous avons mélangées et j’ai trouvé que ces nouvelles technologies étaient plus appropriées. Je crois que de toute façon, essentiellement, un bon animateur, c’est quelqu’un qui peut utiliser soit des décors virtuels, soit de la prise de vue en temps réelle, soit de l’image par image. Ce qui est important, c’est que l’animation, l’animateur lui-même soit en quelque sorte acteur de son art.
De films en films, vous avez vraiment créé votre propre univers avec des décors et un visuel magnifique. Qu’est-ce que la 3D a apporté à la création de votre univers ?
La 3D me semblait coller complètement au matériel d’Alice, son sujet propre. D’abord parce qu’Alice au pays des merveilles, c’est avant tout un « trip », quelque chose de loufoque et la 3D me permettait de revisiter, tel un instrument, cet univers un peu comme on utilise la couleur ou la musique. Cela permettait davantage une immersion totale. Je dois dire que, pour moi, la 3D, n’est pas un phénomène à la mode, cela va rester. Bien sûr, chaque film ne devrait pas être tourné en 3D mais dans ce cas précis, c’est un élément qui rajoute quelque chose : cela nous emporte dans le voyage. Cela a été une des raisons pour lesquelles j’ai voulu faire ce film en 3D.
L’un des effets de la 3D est que les corps apparaissent plus petits que dans la réalité. Est-ce que le fait que vous ayez constamment joué sur les tailles des personnages jusqu’à faire perdre l’image d’une taille moyenne répond à ce défi qui n’est pas encore tout à fait réglé par la 3D ?
Il y a effectivement dans la 3D une relation à la taille et dans ce film, j’ai trouvé cela extrêmement pertinent. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’ai voulu faire ce film en 3D car il y a dans Alice au pays des merveilles cette relation à la taille, à l’espace qui est sans arrêt un peu décalé. J’ai voulu que la 3D devienne un personnage du film et non pas un gimmick. Un personnage qui sert totalement la nature décalée de l’univers de Wonderland.
Si la 3D est un personnage du film, les spectateurs qui verront ce film en 2D ne seront-ils pas lésés ?
Je savais, en le tournant, que certain ne le verrait pas en 3D mais en 2D. Je me suis vraiment efforcé, à chaque fois, pour chaque plan, pendant le tournage, de satisfaire ces deux publics là. Bien entendu, je préférerais que l’on voit ce film en 3D uniquement et ce sera peut-être le cas dans l’avenir.
- © Walt Disney Pictures
Lewis Caroll
Pourquoi avez-vous proposé une nouvelle vision d’Alice au pays des merveilles et quel a été pour vous le plus grand défi à relever ?
Beaucoup de versions ont été faites mais je trouvais, en ce qui me concernait, qu’aucune ne me plaisait totalement car les personnages de Lewis Caroll, ces personnages extraordinaires, étaient en quelque sorte représentés de façon trop littérale dans ce monde de l’absurde. Ce que j’ai voulu faire dans cette nouvelle approche, c’est utiliser les personnages de Lewis Caroll mais pour explorer - comme il le faisait d’ailleurs - ce qu’il y a de commun entre la vie onirique et la vie réelle qui ne s’excluent pas mais, au contraire, s’enrichissent mutuellement. J’ai voulu, comme lui, que la fantaisie soit utile pour explorer la réalité du monde. Ce qui est fascinant c’est cette interconnexion entre le monde de la fantaisie et du rêve et le monde de la réalité. C’est ce qui m’intéressait dans ce projet.
Quel rapport aviez-vous avec le livre avant le tournage et pourquoi avoir donné une quête à Alice ?
Je connaissais le personnage d’Alice mais étrangement, ce n’était pas à cause du livre. Vous savez, je viens de Burbank et à Burbank, on ne lit pas beaucoup de livres, mais je connaissais le personnage d’Alice surtout à travers des groupes de musique, des chansons, l’imagerie qu’utilisaient certains auteurs et illustrateurs dans leur œuvre. Ce qui m’intéressait et m’interpellait, c’était à quel point cette imagerie faisait entièrement partie de la culture, même du langage avec des expressions comme « fou comme un chapelier » ou le « sourire du Chat du Cheshire » ; tout cela est rentré dans le langage d’aujourd’hui. Je voulais montrer à quel point l’univers d’Alice, s’immisçant dans nos rêves et notre réalité, a un pouvoir extraordinaire.
Est-ce que votre référence aux contes de fée dans les décors était voulue ?
Il y a eu tellement de versions et de visions, de différents artistes, qui ont interprété l’univers d’Alice que ce n’était pas mon intention de faire des décors de contes de fée. Mais par contre, nous voulions vraiment rester fidèles à l’esprit d’Alice au pays des merveilles. Comme pour les différentes techniques que nous avons utilisées, il s’agit pour les décors d’un processus organique. Il n’y avait rien de fixé, déterminé à l’avance. Il s’agissait de trouver nos propres marques, nos propres rythmes. En ce sens-là, ce ne sont pas vraiment des décors de contes de fée.
Qu’avez-vous pensé du film de Disney ?
Etrangement, cela a été un des films de Disney qui a le moins marché à l’époque. Je crois que c’est tout à fait normal car cela est du à l’étrange nature de l’œuvre même de Lewis Caroll parce que, quelque part, toutes les versions que j’ai vues étaient trop littérales par rapport à l’univers absurde. Bien sûr, au niveau de l’histoire, c’est génial mais quand on fait un film, il faut être davantage dans une réalité filmique. Il y a eu, je crois, vingt-huit versions d’Alice au pays des merveilles. J’ai tout vu : la version musicale, la version pornographique... j’ai tout regardé. En réalité, ce qui m’intéressait, c’était de voir comment, grâce aux personnages issus de son univers, elle pouvait explorer sa vie de tous les jours : comment le rêve, comment notre monde intérieur, comment notre subconscient nous aident à naviguer à travers notre réalité. Je ne trouvais pas qu’il y avait eu jusqu’à présent une version si géniale, si définitive, que je ne pouvais pas ne pas m’autoriser à en créer une nouvelle. Puisqu’il y a eu tant d’artistes qui ont puisé dans ce matériel, je me suis dis « moi aussi, c’est ok, je peux faire ma version ».
- © Walt Disney Pictures
Son adaptation d’Alice au pays des merveilles au sein de son univers de cinéaste
Pourquoi n’avez-vous pas réalisé Alice au pays des merveilles avant puisque cela semble si proche de votre univers ?
Pour être tout à fait honnête, c’est cette combinaison même d’Alice et de la 3D qui a été un déclic pour moi. Cela me semblait tout à fait pertinent et juste par rapport à la nature décalée de l’univers de Wonderland. Je ne suis pas sûr que je l’aurais fait il y a quelques années. Il n’est d’ailleurs pas question de faire tous mes prochains films en 3D.
Avez-vous été impliqué dans l’écriture du scénario et envisagez-vous de retourner à des films dont vous avez entièrement écrit les histoires ?
Parfois, dans d’autres projets que j’ai fait, l’écriture était très complexe. Dans le cas de ce scénario, ce qui me plaisait, à l’opposé des autres versions d’Alice, c’était qu’il s’agissait d’une histoire simple, l’idée d’un voyage intérieur que nous faisons tous de façon privée, à certains moments de notre vie. Ce scénario simple aidait à ancrer ces personnages, tous plus ou moins dingues. Une telle quête intérieure, où les rêves sont des outils pour nous guider, n’avait jamais été présentée, dans aucune autre version. Un côté tranquille qui porte le personnage. Je n’ai pas écrit le scénario mais j’y ai été attentif. Il est essentiel de sentir qu’un scénario me va, sinon il m’est impossible de tourner un film. Ici Mia, qui change de taille constamment, n’a pas d’interactivité avec d’autres acteurs ou personnages. Par moments, lorsqu’elle jouait, il n’y avait qu’un élément de décor ; il était donc essentiel que je ressente le scénario de manière très intime car sinon cela n’aurait pas fonctionné.
L’interpénétration des deux univers, onirique et réel, se retrouve notamment à travers la représentation de la notion d’ordre. On retrouve l’aspect guindé de l’ordre dans la réalité et en même temps chez la Reine Rouge.
Depuis mon plus jeune âge, je me bats contre l’idée d’une société répressive ou contre l’envie d’uniformisation. Au contraire, je veux célébrer la nature artistique et individuelle de chacun. Donc, effectivement, que ce soit à l’époque victorienne ou aujourd’hui, ce combat est un combat quotidien. Et c’est ce combat que vous voyez dans mes films et dans mon cinéma.
Lorsqu’Alice revient du pays des merveilles, elle est devenue adulte, elle a trouvé son identité et que fait-elle ? Elle va conquérir la Chine, elle est en figure de proue du capitalisme marchand et de la mondialisation. Tout cela pour ça ?
Vous êtes libre effectivement d’avoir cette vision des choses mais moi je préfère penser à cette fin comme un océan artistique ; c’est son développement artistique.
Pourriez-vous nous parler de Mia Wasikowska ?
Lorsque j’ai parlé des 28 versions que j’ai vues, j’ai trouvé qu’à chaque fois, Alice était cette petite fille un peu insupportable, qui ne fait que dire « c’est étrange », qu’il y avait toujours cette suite de rencontres avec des personnages bizarres mais qui n’avait, en réalité, pas d’âme, pas de fondement. Lorsque j’ai vu Mia pour la première fois, j’ai trouvé évidemment jeune mais j’ai eu la sensation que c’était une vieille âme. J’ai tout de suite senti qu’elle avait l’intelligence de quelqu’un qui ne rentre pas encore dans les normes sociales. Elle est en pleine transition pour son âge. J’ai aimé en elle cette gravité intérieure qu’elle dégage. Quelque chose d’adulte, de sérieux, une vie interne qui est vraiment en perspective lorsqu’on la voit.
Dans le film, il est dit que l’on est tous un peu fous. Les maîtres zen disent que l’on est tous fous et que le but de notre existence est d’atteindre la sagesse. Pensez-vous que cela soit vrai ?
Je suis complètement d’accord avec vous car moi-même je n’ai jamais pensé qu’il fallait séparer le monde de la fantaisie ou de l’onirisme du monde réel. Au contraire. Le rêve et la fantaisie nous permettent de comprendre et d’analyser notre réel, notre vie intérieure, onirique, artistique. Pour moi, les rêves ne sont là que pour vivre notre vie quotidienne. Ce qui m’intéresse toujours, c’est ce mélange intime de la fantaisie, du rêve et de la réalité.
Quand vous voyez que tout ce que vous entreprenez est toujours une réussite, n’avez-vous pas l’impression que votre vie, votre histoire est « Tim au pays des merveilles » ?
Correction : tout ce que je touche n’est pas forcément un succès. Ce qui est merveilleux, lorsque je me sens au pays des merveilles, c’est lorsque je tourne, parce que c’est une expérience à la fois folle et surréaliste, légère et sombre, drôle et tragique, tout cela à la fois ; c’est la beauté du cinéma. L’instant que je préfère est lorsque je suis sur un tournage avec les acteurs, des vrais artistes, que j’appelle ma « drôle de famille ». C’est à ce moment-là que l’on oublie tout, que le cinéma est aussi du business, une industrie. Ce qui m’importe c’est de faire quelque chose d’artistique avec cette « drôle de famille » qu’est la mienne.
- © Walt Disney Pictures
Le Festival de Cannes
Tim Burton, président du Festival de Cannes...
Je suis très excité parce que vous savez depuis quelques années, je me sentais un petit peu enfermé dans cette pièce verte pour les effets spéciaux. J’étais dans un vide cinématographique, en quelque sorte. C’est un plaisir énorme, c’est un énorme évidemment, extrême, et c’est pour moi une merveilleuse occasion de me reconnecter avec l’univers des films puisque qu’Alice au pays des merveilles était une expérience un peu étrange pour moi. Je suis tout à fait ouvert à cette nouvelle expérience car Cannes, n’est-ce pas finalement le Pays des Merveilles du Cinéma ?
Puisque le mélange de fantaisie et de réalité est au cœur de votre œuvre, pensez-vous alors apporter un peu de votre fantaisie au Festival de Cannes et comment ?
L’important, c’est d’arriver à Cannes, le cœur et l’esprit ouverts, prêt pour de nouvelles expériences. Il faut se préserver, espérer avoir cet élément de surprise et ne surtout pas y aller avec des attentes. Pour quelqu’un qui, comme moi, tourne des films, cette surprise est de plus en plus difficile.
Question subsidiaire
Pourquoi est-ce qu’un corbeau ressemble à un bureau ?
Ce qui est génial avec Lewis Caroll dont l’œuvre a été analysée et reanalysée, c’est que cela demeure toujours cryptique, parce que cela touche profondément quelque chose en nous, notre part de subconscient. Nous n’avons pas toujours les réponses. Je trouve que c’est finalement extrêmement rafraichissant qu’il reste dans la vie une part de surprise, à laquelle on ne peut pas répondre et, Dieu merci, ces choses qui restent sans réponse existent encore aujourd’hui.
- © Walt Disney Pictures
Conférence de presse du lundi 15 mars 2010
Galerie Photos
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