Bouclier humain
Le 21 janvier 2014
Retour sur une série mythique des années 2000 : souvent copiée, jamais égalée, déjà culte !
- Réalisateurs : Clark Johnson - Frank Darabont - David Mamet
- Genre : Drame, Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Thriller
- Nationalité : Américain
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2002 : saison 1 , 2008 : saison 7. The Shield a marqué l’histoire de la télévision américaine sur presque dix ans. La moitié de la nouvelle décennie pointant le bout de son nez… et toujours pas de concurrent susceptible de détrôner l’une des créations du petit écran les plus importantes de notre époque.
L’argument : Pour rétablir l’ordre dans les secteurs les plus dangereux de Los Angeles, une brigade de police de la ville de Farmington en arrive à mettre en œuvre des méthodes plutôt expéditives et inhabituelles. Vic Mackey, à la tête de cette Strike Team, va user de sa plaque "bouclier" pour franchir constamment la frontière ténue entre justice et actes punitifs.
Notre avis : Début 2002, les avis dithyrambiques de la profession précèdent l’arrivée de The Shield, la série de Shawn Ryan, auréolée avant même sa diffusion. Les auteurs des années French Connection clament que rien d’aussi qualitatif n’a été fait dans le genre "réaliste" depuis ces films emblématiques et William Friedkin d’ajouter : "si vous cherchez aujourd’hui une influence de la Nouvelle Vague en Amérique, il faudrait sans doute chercher du côté des séries télés qui ont mieux que les films traditionnels absorbé les leçons et les innovations de la Nouvelle Vague. Je pense à The Shield ou à The Wire par exemple". Si la création de Ryan reste à ce jour un ovni dans le paysage de nombreuses créations télévisuelles faussement irrévérencieuses, c’est qu’elle s’est engagée sur un territoire métissé que seul le format de diffusion autorisait, mais se permettant au passage l’emprunt d’outils cinématographiques (avec entre autres de talentueux réalisateurs tels que David Mamet et Frank Darabont ainsi que des acteurs de renom, Glenn Close et Forest Whitaker en tête) !
- © Sony Pictures Television International
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Ce qui est évident dès l’incroyable pilote, c’est effectivement la convocation du meilleur du cinéma et de la télévision pour un mix des deux médiums conférant cette aura unique. Le tournage en argentique 16mm, les cadrages à l’épaule, l’effet d’obturateur permanent dans les scènes d’action etc. Autant de partis pris draconiens qui attribuent aux épisodes une tournure cinématographique et pourtant, comment raconter de façon aussi tangible cette décadence annoncée autrement que le temps de sept saisons télévisuelles qui prennent le temps d’amener son protagoniste vers un seul et unique objectif télévisuel ? Sans spoiler les événements aux néophytes vierges de cet univers impitoyable, il faut en apprécier chaque étape pour mieux appréhender la superbe mise en abîme finale, rendant cohérent le spectacle dans sa globalité. Le dispositif de mise en scène intégral étant tellement abouti, qu’on peut sans craindre affirmer qu’il a dû apporter sa pierre à l’édifice des néoréalistes du cinéma de genre contemporain. Les scènes d’action ont depuis fait école, déployant une ingéniosité permanente dont les trois vecteurs indissociables restent : l’immersion via un cadrage à l’épaule claustrophobique, le mimétisme dénonciateur des reality show pour le sens de l’instantané et finalement, une captation des décors naturels avec changements de diaphragme violents à l’appui. On se croirait dans du cinéma vérité s’octroyant la richesse du langage cinématographique en sus. Tout sonne vrai à l’écran, du plus petit second rôle à la moindre parcelle de terrain foulée, on se retrouve dans un véritable reportage des cités chaudes américaines contemporaines, la scénarisation fictionnelle en plus. Et lorsque le manque de moyens financiers entre en ligne de compte, les équipes créatrices les contournent avec autant de talent que les frères Coen travaillant le hors champs dans la période Blood Simple. Ce sont précisément ces libertés de ton qui font écho à la citation de Friedkin et créent la culminance de la série. Nul doute que des films tels que End of watch existent sous leur forme actuelle grâce à un lien, même lointain, à The Shield.
- © Sony Pictures Television International
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Les superlatifs semblent manquer pour exprimer la qualité dogmatique des mises en scène : une écriture rigoureuse, documentée, qui caractérise à merveille des premiers rôles aux quasi figurants et égratigne au passage le puritanisme ambiant des USA, dont la chasse aux sorcières se porte ici sur Vic Mackey et sa Strike Team. Certes, ces derniers sont des pourris mais leurs calomniateurs (mis à part le duo composé par Jay Karnes et CCH Pounder) ne sont aveuglés que par leurs propres intérêts, par ailleurs capitalistes au sens large du terme. Par de multiples procédés scénaristiques judicieux (et surtout crédibles), la troupe de Ryan active toujours de l’empathie entre le spectateur et les ripoux. Mieux, ils décrivent un monde bouffé par le libéralisme où les supposés chasseurs de ripoux n’ont finalement qu’une course à leur propre intérêt en vue. Ce qui fait que Mackey reste touchant du début à la fin (on parle tout de même d’un tueur), c’est qu’il semble plus le produit d’un système que son vecteur. Toujours en évoquant la nouvelle vague française, William Friedkin affirme : "nous ne pouvions qu’admirer ces films et s’en inspirer, mais les dupliquer, en faire un système, c’était impossible". Entendant par là qu’un des blocages créatif aux États-Unis réside dans la toute puissance des studios, les équipes de The Shield ont su s’éloigner du système pour mieux en parler dans leur œuvre et mettre en avant un monde binaire, où les protagonistes ne courant pas après l’argent courent après le pouvoir. Farmington = Hollywood ?
- © FX Networks
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Et il y a la touche finale, qui ponctue et parachève le côté sensationnel et hors normes du show : Michael Chiklis, acteur, réalisateur et producteur investi sur le projet. Il n’est pas beaucoup d’étapes de la création dans laquelle n’est pas impliqué cet acteur, jusqu’alors cantonné à des seconds rôles sans importance. Il suffit de jeter un coup d’oeil sur sa carrière en dehors de The Shield pour se rendre compte qu’il a campé ici le rôle de sa vie. Et si il y a autant de vrai à l’écran, c’est peut-être également parce qu’il y a un peu de Vic Mackey chez Chiklis et inversement. L’homme s’est présenté au casting, poussé par sa femme l’invitant à faire de la musculation pour "prendre sa vie en main", et quelle prise en main ! Alors que Mackey devient le boss de la Strike Team, Chiklis devient l’une des têtes pensantes de The Shield et porte l’entreprise sur ses épaules comme rarement un acteur de série télé l’aura fait auparavant. C’est bien simple, Chiklis ne joue par Mackey, il est Mackey. Rarement une prestation télévisuelle aura autant été habitée par un homme s’y plongeant corps et âme. Le simple visionnage des gros plans, témoins de la profondeur du regard de cet homme constamment à l’affût, est un argument suffisant pour affirmer sans honte qu’il est un tragédien du petit écran comme Pacino et De Niro le sont sur grand écran.
Pour ceux qui n’auraient pas encore tenté l’expérience, jetez-vous sur le pilote réalisé par Clark Johnson. En entendant l’un des protagonistes clamer "l’amour est dans la bible"... avant d’assister à la délivrance d’une pauvre victime d’un pédophile pervers, prisonnière d’un éclairage christique et d’une ambiance sonore biblique dont s’empressent de l’y déloger les policiers, vous comprendrez que vous êtes directement plongés dans un chef d’œuvre de subversion. Un chef d’œuvre colossal de sept saisons et 88 épisodes, où rien n’est à jeter ! INCONTOURNABLE.
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