Ménage à trois
Le 24 décembre 2021
Joseph Losey, cinéaste de la perversité, compose un opéra gothique implacable sur la toxicité des rapports humains, au sein d’un microcosme bourgeois à l’agonie. Une œuvre à part, au noir et blanc sublime, révélant toute la dégénérescence d’un ordre social évanoui.
- Réalisateur : Joseph Losey
- Acteurs : Sarah Miles, Dirk Bogarde, Patrick Magee, Doris Nolan, James Fox, Catherine Lacey, Wendy Craig, Dorothy Bromiley, Brian Phelan
- Genre : Drame, LGBTQIA+, Noir et blanc
- Nationalité : Britannique
- Distributeur : Les Acacias
- Durée : 1h55mn
- VOD : MyCanalVOD, LaCinetek, Universciné, FilmoTV
- Date télé : 21 juillet 2024 22:20
- Chaîne : Ciné+ Classic
- Reprise: 26 janvier 2022
- Titre original : The Servant
- Date de sortie : 10 avril 1964
- Festival : Festival de Venise 1963
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Tony, jeune et riche aristocrate, engage un domestique le jour même où il emménage dans sa nouvelle demeure. Son valet de chambre, Barrett, le fascine sans qu’il en ait d’abord conscience : Tony est un être fragile, superficiel, qui ne s’entend pas réellement avec sa fiancée Susan. Et Barrett, jour après jour, devient moins servile et plus indispensable…
Critique : Une demeure londonienne hantée par la dépravation, un aristocrate au visage aussi angélique que mortifère, un domestique révélant peu à peu sa nature de prédateur narcissique et une maîtresse à la liberté de mœurs assumée, tel est le schéma relationnel avilissant que nous propose The Servant. Avec ses ombres funestes et ténébreuses, que l’on croirait tout droit sorties du chef-d’œuvre de Charles Laughton La Nuit du chasseur et ses mouvements de caméra sophistiqués, ce long métrage, écrit par Harold Pinter et réalisé par Joseph Losey en 1962, continue à nous dévorer lentement de l’intérieur, tel un malaise lancinant, tant le commentaire social sous-jacent semble parcourir les années avec une inquiétante étrangeté. Au-delà de la sempiternelle thématique de la lutte des classes, qui prend ici une dimension symbolique tout à fait remarquable, avec cette bâtisse à la structure horizontale, laissant entrevoir une société britannique à la hiérarchie arbitraire, comme autant de strates sociales profondément inégalitaires, The Servant ne cesse de surprendre du fait de sa richesse visuelle et son récit labyrinthique formellement brillant.
- © 1963 Springbok Films Ltd
L’apparente austérité de la réalisation à laquelle s’attache le réalisateur Joseph Losey dissimule en réalité un trouble à la lisière du baroque, caractérisé de prime abord par l’utilisation subtile des miroirs, comme autant de reflets déformant la réalité de nos protagonistes, annihilés par le vice des apparences. La direction artistique, que n’aurait pas désavouée le classique de Jack Clayton Les Innocents, où il était déjà question d’individus pris au piège des entrailles d’un manoir victorien fascisant, se prolonge dans la composition méthodique et consciencieuse de la mise en scène. La grande majorité des scènes est constituée de plans-séquences d’une maestria visuelle transcendant les barrières physiques et symboliques, afin de créer, au sein même de la diégèse de l’œuvre, une forme d’altération qui contaminera peu à peu les rapports de force. The Servant traite indéniablement de vampirisation, d’anéantissement psychologique et moral d’un homme, ancré malgré lui dans un moule sociétal en décrépitude, incapable de voir ou appréhender le tempérament corrosif et insatiable de son valet de chambre, vraisemblablement animé par de sombres desseins. Le film prend un malin plaisir à les étudier longuement, mais sûrement, à la loupe, dans le cadre strict d’une relation entre un maître et son domestique.
On peut d’ailleurs déceler ce rapport quasi sadomasochiste qui les réunit dès l’un des premiers plans du film, qui situe déjà le serviteur en position de supériorité face à l’aristocrate, avachi dans son fauteuil comme un cadavre inanimé. On pourrait d’ailleurs soustraire cette vision prophétique à la lente descente aux enfers de ce jeune bourgeois aux aspirations médiocres, résigné face à son domestique, parfaitement incarné par un Dirk Bogarde en grande forme, dissimulant derrière un visage diaphane un sommet de cruauté inédit, bien déterminé à prendre ses quartiers au sein de la sphère privée. Certes, deux figures féminines gravitent autour d’eux, mais la représentation de la femme proposée dans The Servant est si générique, voire limitée au seul rôle de la castratrice ou encore de la maîtresse hypersexualisée, que Losey privilégie à juste titre la psyché malade de nos deux compères. Et,même si l’on pourrait légitimement déterrer ici et là les relents tempétueux de l’homosexualité refoulée, toute la violence sourde inhérente à l’Angleterre puritaine se retrouve savamment cachée sous les apparences d’hommes réduits à de modiques marionnettes désarticulées, enfermées dans un théâtre clos. The Servant est sans nul doute le plus grand film de Losey, l’œuvre d’un auteur en pleine possession de ses moyens, lui permettant de s’exprimer avec une désinvolture rarissime dans le paysage cinématographique de l’époque.
Galerie photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.