La scientologie passée au peigne fin
Le 8 janvier 2013
Après Boogie Nights, Magnolia et There Will Be Blood, Paul Thomas Anderson revient avec The Master. A l’affiche, un tandem explosif, Joaquin Phoenix et Philip Seymour Hoffman.
- Réalisateur : Paul Thomas Anderson
- Acteurs : Joaquin Phoenix, Philip Seymour Hoffman, Amy Adams, Ambyr Childers, Jesse Plemons
- Genre : Drame
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Metropolitan FilmExport
- Durée : 2h17mn
- Date de sortie : 9 janvier 2013
- Festival : Festival de Venise 2012
Résumé : Freddie, un vétéran, revient en Californie après s’être battu dans le Pacifique. Alcoolique, il distille sa propre gnôle et contient difficilement la violence qu’il a en lui… Quand Freddie rencontre Lancaster Dodd – « le Maître », charismatique meneur d’un mouvement nommé la Cause, il tombe rapidement sous sa coupe...
Critique : Difficile de trancher avec The Master. Une opinion comme une émotion. Après des mois d’attente, un casting alléchant et de nombreux effets d’annonces, le nouveau long-métrage de Paul Thomas Anderson déçoit plus qu’il ne convainc. Sur le fond, l’idée est porteuse et originale : remonter à la source de la scientologie et explorer la genèse d’un monde ravagé par la guerre, en quête de repères et de sens. Explorant le paradoxal besoin d’immatériel dans une société ultra matérielle, The Master prolonge la réflexion du très réussi There Will Be Blood.
Dans l’un comme l’autre, tout est question de puits sans fonds, de domination et d’âme humaine. Ici, c’est Freddy (Joaquin Phoenix), vétéran traumatisé et déconnecté, qui endosse le rôle de l’homme en peine. Entre désespérance et perdition, Freddy erre de ports en ports, noyant ses blessures dans la confection de cocktails arrache-gosiers qui, à coup sûr, réveillerait un mort. Démarche chaloupée, tics nerveux, dos courbé, l’acteur revêt le rôle jusqu’au bout des ongles. Alors c’est sûr, il n’y va pas avec le dos de la cuillère et certains crieront au cliché et au surjeu. En même temps, le choc post-traumatique d’un soldat, visuellement, ça marche. Un peu moins en ce qui concerne Lancaster Dodd (Phillip Seymour Hoffman), personnage hautement charismatique certes, mais un peu creux. Jouant sur le rythme et les intonations de ses répliques, le monstre sacré du cinéma américain se laisse un peu trop porté par le dialogue et peine à creuser la psychologie du créateur de la scientologie. Son interprétation, tout aussi physique que celle de Joaquin Phoenix, manque d’humanité. Résultat ? L’émotion ne passe pas et les failles se noient sous les airs policés.
Un hermétisme que l’on retrouve dans l’intrigue et sa narration. D’un point de vue purement formel, The Master est une réussite. Ne serait-ce que par son format (70mm) ressuscitant le temps d’une séance, l’éclatante beauté de l’esthétique du cinéma des années 1950. Saturation des couleurs, hyper composition du cadre, incalculable profondeur de champ, le picturalisme de l’image de The Master est irréfutable. De plus, décors et lumières sont ici à l’honneur, les deux postes ayant respectivement étaient confiés à Mihai Malaimare (directeur photo de Coppola) et Jack Fish (chef décorateur de Terrence Malick). Minutieuse et détaillée, la reconstitution historique souligne cet effet ’’plan tableau’’. Véritable déclaration d’amour au septième art, The Master est aussi l’occasion d’une mise en abyme, celle de la relation d’un maître à son initié et donc, par extension, d’un réalisateur à son spectateur. Peut-être est-ce même dans cette optique que le cinéaste a voulu son œuvre cryptique, pour mieux interroger sur l’emprise de l’image. Reste que trop de mystère tue le mystère. Concrètement, l’intrigue n’avance pas et au fil de deux heures, la désagréable impression qu’il ne se passe rien commence à nous envahir. Une platitude du récit qui se double d’une incohérence dans les parcours des personnages.
Pour Freddy comme pour Lancaster, aucune évolution : le tandem campe sur ses positions. S’ils semblent se compléter un temps (la première demi-heure), l’absurdité de leur relation masochiste apparaît très vite, Freddy restant imperméable à la doctrine de son maître, et Lancaster refusant de plier. Entre ce père et ce fils, de l’amour et beaucoup d’incompréhension, un peu trop. Heurté, tourmenté et sauvage, The Master néglige une narration sensitive (dans ce domaine, Magnolia reste un pur chef-d’œuvre) au profit d’une froide intellectualisation. Avec Punch-Drunk Love, le cinéaste chavirait dans l’opaque et l’abscons. There Will Be Blood se rattrapait par son impeccable scénario. Et The Master mise sur l’esthétique.
Au final, cette réflexion sur le groupe, l’appartenance, la crise et l’identité, vaut bien le coup d’œil par sa beauté plastique. Avec seize ans de carrière et seulement cinq films dans une œuvre incontournable, Paul Thomas Anderson, et ce malgré l’obscurité de ce dernier opus, demeure le maître d’un certain cinéma américain.
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.
Lui de Go with the Blog 8 janvier 2013
The Master - Paul Thomas Anderson - critique
Cinq ans après THERE WILL BE BLOOD, le réalisateur Paul Thomas Anderson revient avec un casting étonnant et costaud pour THE MASTER, un film qui avant même sa sortie fait déjà beaucoup parler de lui.
Casting étonnant donc, avec le retour sur grand écran de Joaquin Phoenix qui avait pourtant annoncé officiellement sa retraite ; et aussi casting imposant avec Philip Seymour Hoffman et Amy Adams, qui a de plus en plus le vent en poupe. Hormis ce joli casting, THE MASTER est également au centre d’une petite polémique car beaucoup voit dans le personnage interprété par Philip Seymour Hoffman une ressemblance avec Ron Hubbard, le créateur et maître de la Scientologie. Qu’en est-il exactement ?
La suite ici : http://gowith-theblog.com/the-master-paul-thomas-anderson/