Le 9 avril 2021
Avec une grande élégance et une belle énergie, Ferrara filme le besoin urgent et puissant d’une bonne dose de sang, pour mieux parler d’addiction à la drogue.
- Réalisateur : Abel Ferrara
- Acteurs : Christopher Walken, Lili Taylor, Annabella Sciorra, Edie Falco
- Genre : Fantastique, Épouvante-horreur, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Editeur : Carlotta Films
- Durée : 1h22mn
- Reprise: 24 mars 2021
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Résumé : Kathleen est étudiante en philosophie. Un soir, elle est violemment agressée par une femme bien mystérieuse, qui se plonge dans son cou pour en extraire du sang. Dès lors, Kathleen semble irrésistiblement attirée par la chair humaine, au point de ressentir un manque de plus en plus saisissant dès lors qu’elle n’a pas eu sa dose…
Critique : Ferrara l’assume : les films avec lesquels il a grandi, et – selon lui – ceux qui restent sont souvent des films en noir et blanc. Comme s’il s’agissait d’un théorème, il s’applique à réaliser The Addiction ainsi. Il donne alors corps à une œuvre libre de tout carcan, notamment financier. Pari tenu : vingt-cinq ans après, nous célébrons l’anniversaire de ce conte vampirique totalement à part, tourné pour très peu, mais avec un cœur et un talent énorme.
Les premières images en convainquent : The Addiction est un beau délire esthétique, armé du talent de son auteur pour les plans chocs, marqués par des contrastes forts et des jeux de lumières d’une grande élégance. Malgré tout, une forme de sobriété se dégage de sa mise en scène, qui laisse parfois la place à l’abstrait, et rend à l’écran un beau travail sur les textures, principalement le sang, qui coule de la bouche, du cou, des veines, qu’on prélève, qu’on vole, qu’on recrache. Ici, il est aussi irrésistible que dangereux, aussi attirant que piégeux.
- © 2021 Carlotta Films
Car le sujet de The Addiction est bel et bien la dépendance à la drogue. La force de Ferrara est de montrer la manière dont elle prend possession des corps pour ne plus les lâcher, comment elle les tord de désir et de douleur. En ce sens, Lili Taylor est parfaite. Flippante, aussi. Totalement accro. Elle porte le film haut, très haut.
Toutefois, s’il réalise un très beau long métrage, Ferrara se perd dans ce qui peut être vu comme un signe de prétention. En réalité, si cela est logique compte tenu des études de Kathleen, Ferrara n’hésite pas à déclamer de la philosophie pour ce qui confine parfois à la caricature. Sa recherche d’une forme de grandeur nuit à son film, qui aurait sans doute gagné à privilégier en simplicité dans ses dialogues, sans chercher cette grandiloquence qui peut agacer. A noter : c’est Nicholas St. John qui est à l’écriture, ce qui n’est pas rare chez Ferrara.
Mais avec lui les œuvres et les citations philosophiques se mêlent un peu artificiellement, conduisant à une fin qui peut laisser de marbre. En effet, même si Ferrara en propose une lecture très claire - cf. suppléments -, il est possible d’y voir deux principales interprétations, que nous ne dévoilerons pas ici, mais semblent toutes les deux faiblardes. Il est avant tout possible d’y voir une mise en scène tout sauf habile de la résurrection christique. Un thème qui n’est pas réellement amené dans ce qui précède, et dont l’irruption peut être perçue comme une facilité. C’est un moyen rapide et faussement profond de clore une histoire par ailleurs fort joliment racontée.
- © 2021 Carlotta Films
The Addiction est un film court et nerveux, graphiquement impeccable, mais dont la force est quelque peu amoindrie par une écriture parfois pataude.
L’image
Le grain de l’image est parfait, et le sublime éclairage de Ken Kelsch est impeccablement rendu par la restauration en haute définition. Il suffit de voir les premières images et les contrastes marqués à l’écran pour s’en convaincre.
Le son
De ce côté-là, aucun impair n’est à mentionner, et l’ambiance sonore très particulière du film vous gagne facilement, avec les compositions atypiques de Joe Delia.
Les suppléments
En plus de la bande-annonce, quatre suppléments nous proposent d’approfondir l’expérience du film de Ferrara. Tout d’abord, et c’est le plus gros morceau, nous avons droit à un documentaire d’une demi-heure, réalisé par Ferrara lui-même, dans lequel il part à la rencontre des protagonistes principaux de son œuvre de 1995, plus de vingt ans après.
Dans Entretien avec les vampires - titre peu original - Lili Taylor, Christopher Walken - acteurs principaux -, Joe Delia - compositeur -, et Ken Kelsch – chef opérateur – se livrent avec beaucoup de spontanéité. Ils abordent bien sûr le film, comment ils l’appréhendent, comment ils l’interprètent. Plus intéressant encore : ils parlent également de tout autre chose ! Ou de ce qui pourrait avoir l’air d’être tout autre chose… L’intérêt du documentaire est que ceux qui ont participé à la création du film s’adressent à leur réalisateur de l’époque, avec une grande liberté de ton. On appréciera notamment la vision du métier d’acteurs qu’a Christopher Walken, assez loin des stéréotypes.
L’Entretien avec Abel Ferrara est beaucoup plus classique et académique. Un canapé, des questions, des réponses. Ces dernières demeurent très pertinentes et contextualisent parfaitement le film, réalisé pour très, très peu d’argent. A tel point que Ferrara confesse que tout le monde accepta à l’époque de ne pas percevoir de salaire sur le moment, mais plus tard, et en quantité très limitée.
Plus alléchant : Abel Ferrara pendant le montage de The Addiction nous montre le réalisateur à l’époque, en post-production, fasciné par ses propres images et les répliques de son propre film. On y verra un artiste à la passion communicative. Une passion qu’il voue à son art, mais aussi à sa ville de cœur, New York.
Enfin, l’analyse de Brad Stevens est pertinente, quand bien même il enfonce quelques portes ouvertes. Il propose toutefois une vision des choses ayant le mérite de faire émerger la réflexion chez le spectateur, qui n’aurait probablement pas eu un tel recul avec un simple visionnage. Son idée que Ferrara était en opposition avec son scénariste sur le plan religieux et son traitement dans le récit offre un relief bienvenu à la séance.
On conseillera d’ailleurs, même si quelques éléments clés de l’intrigue y sont discutés et que cela reste à l’appréciation de chacun, d’aborder les suppléments avant le film.
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