L’homme qui a dépoussiéré le cinéma hollywoodien des années 50.
Voilà un homme qui ne fait rien comme tout le monde. Né dans le Rhode Island en 1918, dans une famille très fortunée, neveu de John D. Rockefeller, Robert Aldrich aurait pu vivre la vie qui lui était tracée, celle d’un membre de l’establishment de la côte Est. Mais c’est le cinéma qui l’attire et il ne profitera même pas du carnet d’adresses familial pour y faire son trou : tout juste une petite recommandation par laquelle il obtiendra un job à la production, chez RKO. En peu de temps, il bifurque, devient second assistant. Quelques films plus tard, le voilà qui épaule en tant que premier assistant quelques grands noms de l’époque, William Wellman, Lewis Milestone, Albert Lewin, Jean Renoir ou Joseph Losey, pour terminer sur Les feux de la rampe de Chaplin, après quoi il va se faire la main pendant un an en tant que réalisateur de télévision : tournages à la chaîne d’épisodes de séries en tous genres. Il est fin prêt pour le grand saut. Nous sommes en 1953.
Valse en trois temps que cette carrière. Des débuts en fanfare, Hollywood le reconnaît comme une valeur montante et la jeune critique européenne, Truffaut en tête, le porte au pinacle. Après ce démarrage tonitruant, Aldrich qui a maintenant les moyens de son indépendance, produira ou co-produira la plupart de ses films, une longue série d’où émergent de gros succès publics, ceci jusqu’au début des années 70. Une nouvelle époque dont il ne saura prendre le virage, ses derniers opus sont surprenants (le sophistiqué Hustle avec Catherine Deneuve et Burt Reynolds) pour ne pas dire médiocres.
Autant les oublier pour ne garder de sa filmographie que les œuvres sortant du lot. Et elles sont nombreuses. Car Aldrich a bouleversé les codes du cinéma hollywoodien. Qu’il s’agisse du western (voir notre critique de Vera Cruz) où il se fait le précurseur du futur cinéma spaghetti, du film noir auquel, depuis En quatrième vitesse, il donnera plusieurs chefs-d’œuvre, du film d’aventure, du film de guerre... Aldrich, dans la première partie de sa carrière, a abordé tous les genres que l’on pourrait appeler "virils", en défricheur, toujours en avance sur son temps, osant s’attaquer à des sujets dits "courageux". Films d’hommes dépourvus de tout manichéisme, peuplés de veules, de lâches, de cyniques, des hommes qui se débrouillent comme ils peuvent, avec leur morale à eux. Voilà qui changeait de ce à quoi Hollywood avait habitué les spectateurs.
Des premières années flamboyantes, donc. Et puis une série de catastrophes. Renvoyé du tournage de Garment jungle, une histoire de syndicats et de gangs très dure (au vu des rushes, le producteur a pris peur), Aldrich s’en va réaliser deux films en Europe (Seconds to hell et Angry hills) dont il gardera un souvenir atroce. Sans parler du subséquent Sodome et Gomhorre, co-réalisé avec Sergio Leone, péplum biblique et ratage total.
Mais notre homme a les moyens de remonter la pente. Il change son fusil d’épaule. Les femmes, jusqu’ici réduites au rôle de comparses dans son œuvre, y font une entrée fracassante en la personne de Bette Davis, inoubliable interprète de Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?, film cauchemar dans lequel Aldrich développe au maximum l’un de ses principaux atouts de raconteur d’histoires : sa formidable maîtrise de la tension narrative. Son efficacité retrouvée, Aldrich peut donner un nouveau coup d’accélérateur à sa carrière. Il bénéficie des distributions les plus brillantes comme dans Four for Texas où il renoue avec le western, ou Douze salopards, violent film de guerre. Ses films sont plébiscités par le public, mais la "Aldrich’s touch" chère aux cinéphile semble se diluer dans les impératifs du cinéma commercial. Elle réapparaît parfois et ce sont de petits miracles (et des films passés inaperçus) comme Le démon des femmes (1968) avec Kim Novak, Peter Finch et Ernest Borgnine. Une fin de carrière en dents de scie à laquelle Aldrich n’aura pu mettre un point final plus conforme à son talent. Il est mort à Hollywood en 1983, à l’âge de 65 ans, d’une maladie rénale.
Filmographie :
– The big league (1953)
– Alerte à Singapour (World for ransom, 1954)
– Bronco Apache (Apache, 1953)
– Vera Cruz (1954)
– En quatrième vitesse (Kiss me deadly, 1955)
– Le grand couteau (The big knife, 1955)
– Feuilles d’automne (Autumn leaves, 1955)
– Attaque (Attack, 1956)
– Trahison à Athènes (The angry hills, 1959)
– Tout près de Satan (Ten seconds to hell, 1959)
– El Perdido (The last sunset, 1961)
– Sodome et Gomorrhe, co-réalisé avec Sergio Leone (Sodom and Gomorrah, 1962)
– Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? (Whatever happened to Baby Jane ?, 1962)
– Quatre du Texas (Four for Texas, 1963)
– Chut, chut, chère Charlotte (Hush... hush, sweet Charlotte, 1965)
– Le vol du Phœnix (The flight of the Phœnix, 1965)
– Les Douze salopards (The dirty dozen, 1967)
– Le démon des femmes (The legend of Lylah Clare, 1968)
– Faut-il tuer Sister George ? (The killing of Sister George, 1969)
– Trop tard pour les héros (Too late the hero, 1970)
– Pas d’orchidées pour Miss Blandish (The Grissom gang, 1971)
– L’empereur du Nord (The emperor of the North Pole, 1973)
– Plein la gueule (The longest yard, 1974)
– La cité des dangers (Hustle, 1975)
– L’ultimatum des trois mercenaires (Twilight’s last gleaming, 1977)
– Bande de flics (Choirboys, 1977)
– Un rabbin au Far West (Frisco kid, 1978)
– Deux filles au tapis (California dolls, 1981)