L’apocalypse selon Saint Aldrich
Le 28 janvier 2019
Le chef-d’œuvre de Robert Aldrich en noir et blanc dans une sublime copie restaurée...
- Réalisateur : Robert Aldrich
- Acteurs : Marian Carr, Albert Dekker, Ralph Meeker, Cloris Leachman, Maxine Cooper
- Genre : Thriller
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Carlotta Films
- Durée : 1h46mn
- Reprise: 6 février 2019
- Box-office : 436.699 entrées France / 167 425 entrées P.P.
- Titre original : Kiss me deadly
- Date de sortie : 7 septembre 1955
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– Sortie du blu-ray : 20 novembre 2013
- © 2016 Metro-Goldwyn-Mayer Studio inc. Tous droits réservés.
Troisième film de Robert Aldrich (Les Douze Salopards, L’Ultimatum des trois mercenaires), En quatrième vitesse est un petit bijou de finesse et d’inventivité. Thriller paranoïaque au récit kaléidoscopique à souhait mêlant SF et film noir, Kiss me deadly (titre original) est devenu une référence incontournable pour de nombreux cinéastes, de Godard à Tarantino.
L’argument : Le détective privé Mike Hammer enquête sur la mort d’une jeune femme qu’il a connue furtivement. Ses investigations le mènent vers des enjeux qui le dépassent.
Notre avis : 1955. Robert Aldrich, cinéaste qui ne fait et ne fera-décidément rien comme les autres, jouit d’une certaine notoriété suite au succès de Vera Cruz, objet des plus fascinants porté par une volonté de chambouler les codes du western classique. Avec En quatrième vitesse, film noir conventionnel de prime abord , il confirme sa volonté de se glisser dans les interstices pour exprimer ses convictions politiques et mettre en relief les dysfonctionnements du système et ses dérives totalitaires (le film blâme durement le maccarthysme) à l’instar d’un Nicholas Ray (Johnny Guitare, La Fureur de vivre) et d’un Samuel Fuller (Shock Corridor, The Naked Kiss). Mais cette génération de cinéastes précédant directement celle du Nouvel Hollywood n’a pas pour autant la volonté d’effectuer une réelle révolution cinématographique.
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- © D.R.
L’idée serait plutôt de revisiter le cinéma américain en le remodelant à leur image, une des spécialités d’un certain Quentin Tarantino, grand admirateur d’Aldrich, qui cite d’ailleurs explicitement Kiss me deadly dans Pulp Fiction. Si l’enquête et les multiples rebondissements de l’intrigue évoquent parfois l’opacité de The Big Sleep ou du Faucon maltais, ces deux monuments du cinéma mettant également en scène une histoire de « privé », Aldrich remplace Sam Spade et Philip Marlowe par Mike Hammer, dur à cuire fonceur créé par le romancier à succès Mickey Spillane en 1947. Il y a donc d’emblée une certaine rupture avec l’idéal du héros bogartien, le privé incarné par l’acteur Ralph Meeker évoquant plus, par sa musculature et son penchant pour la violence et le beau sexe, un genre de pré-James Bond. Mais ce qui intéresse vraiment Aldrich, ce n’est pas tant son héros, qu’il ne cesse de malmener, que l’objet de sa convoitise. Changement de dimension, le réalisateur fait basculer le film dans la science-fiction en donnant à son récit des allures d’apocalypse. Enfermé dans une véritable boîte de Pandore, une substance irradiante se substitue à l’habituel magot, entraînant la destruction de celui qui s’aventure à l’ouvrir. Pétri de références bibliques, Kiss me deadly ne peut être plus explicite : celui qui se prendra pour Dieu sera consumé par les flammes de l’enfer. Un avant-goût terrible des funestes conséquences du nucléaire au cœur d’un équilibre géopolitique pour le moins instable et un rappel constant des horreurs engendrées par l’utilisation de la bombe atomique durant la Seconde Guerre mondiale. Voilà sans doute le véritable sens du « Remember me » prononcé par l’inconnue avant de mourir, phrase qui hantera le héros jusqu’à un dénouement pour le moins inattendu. Dans un somptueux noir et blanc, Aldrich ne cesse de jouer avec ses cadres, enfermant les personnages dans un engrenage fatal, et donne à son œuvre quelque chose d’à la fois éclaté et universel.
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Chez lui, le hors-champ n’existe pas, si bien qu’il est difficile d’inscrire l’action dans un lieu donné, si ce n’est ce bord de plage qui renvoie à la côte californienne et à cette bribe de Hollywood pour beaucoup symbole du vice et du péché. Loin du New-York rêvé des gangsters et des films noirs où les protagonistes évoluent dans un univers urbain tentaculaire, le réalisateur nous plonge dans un autre type de labyrinthe où l’accumulation des intérieurs transforme le métrage en huis-clos anxiogène à l’ambiance claustrophobe propice à la paranoïa. Ce n’est pas un hasard si Hammer, en mouvement perpétuel pour gagner sa partie d’échec contre de mystérieux adversaires, semble être en permanence filmé dans des lieux de passages ou en train d’enfoncer des portes, comme si toute idée de stabilité lui était refusée. Si l’on retrouve évidemment la femme fatale -devenue pour l’occasion une véritable allégorie biblique figure de l’apocalypse- ainsi que le héros cynique et machiste établissant sa virilité à coup de poing, Aldrich n’a de cesse de glisser ça et là des références empruntées au fantastique et installe dès le début du film un climat d’inquiétante étrangeté. Devenue culte, la séquence d’introduction (la mystérieuse étrangère nue sous son trench-coat court sur une route seule dans la nuit avant d’arrêter de justesse la voiture de Mike) filmée en insert sur les pieds de la jeune femme est un sommet d’érotisme et de suspense. Le générique défilant à l’envers alors que le couple potentiel est enfermé dans cette voiture-cercueil traquée par la lumière des phares finit d’achever cet éclatement des normes traditionnelles. Nul doute que Lynch s’est fortement inspiré de cette séquence pour son génial Mulholland Drive. Symptomatique de l’anxiété d’un monde vivant sous la menace constante du nucléaire, Kiss me deadly est une magnifique fable sur la condition humaine, sa cruauté et sa propension à s’autodétruire, conséquences directes de son avidité et de sa soif de pouvoir. Violent, sexy comme le blues désenchanté de Nat King Cole, âpre et sans concession, ce jeu de massacre d’un genre particulier se fait le héraut pourfendeur de la maxime « la fin justifie les moyens ».
© 2016 Metro-Goldwyn-Mayer Studio inc. Tous droits réservés.
Le test Blu-ray :
Nouvelle réussite pour Carlotta Films qui nous livre une copie techniquement parfaite, bien que légèrement avare en bonus.
Les suppléments :
Très controversée en raison de son nihilisme extrême, la fin d’En quatrième vitesse version 1955 est en réalité tronquée. Celle voulue par Aldrich, prolongeant le film de ces quelques secondes nécessaires pour comprendre que l’humanité a encore un espoir de salut, n’a été retrouvée qu’en 1996. Une vision moins radicale qui correspond à la version Blu-ray. Les bonus proposent donc également de revoir la fin originale assortie d’un petit texte explicatif mais on aurait aimé avoir davantage d’informations. En revanche, on a plaisir à retrouver pendant quelques 25 minutes (ni trop long ni trop court) le critique et professeur de cinéma Philippe Rouyer (l’un des cadors de l’émission Le Cercle sur Canal +) qui nous livre toutes les clefs de compréhension de l’oeuvre. Enfin, Larry Cohen, créateur de la série Les Envahisseurs, nous parle du personnage de Mike Hammer au cinéma et dans la littérature. Instructif mais souvent un peu poussif, voire hors sujet (28 mn)...
L’image :
Une qualité d’image bluffante pour un film de 1955 avec des noirs profonds qui offrent à l’œuvre une véritable richesse visuelle (en particulier lors de la scène d’introduction). Une profondeur de champ très intéressante, visible en particulier lors des scènes filmées en plongée, exacerbant une impression de vertige toute kafkaïenne, et de la magnifique séquence finale.
Le son :
Possibilité de voir le film en VOST ou en version française. Les halètements de Christina, la femme mystérieuse se superposent à la musique de Nat King Cole durant tout le générique. Un mixage quasi parfait et un son en Master audio haute définition qui donnent une seconde vie aux mordantes répliques de Mike Hammer et des vamps survoltées. L’étrange sonorité émise par la boîte interdite semble provenir d’un autre monde, et est en cela réellement angoissante.
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