Le 13 janvier 2018
Avec ce film violent et excessif, Aldrich malmène des conventions et brutalise ses acteurs comme ses spectateurs.
- Réalisateur : Robert Aldrich
- Acteurs : Joseph Cotten, Bette Davis, Olivia de Havilland, Victor Buono, Agnes Moorehead
- Genre : Thriller, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Twentieth Century Fox France
- Durée : 2h13mn
- Titre original : Hush...Hush, Sweet Charlotte
- Date de sortie : 23 avril 1965
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Charlotte Spinster vit recluse dans le Sud des États-Unis sur une ancienne plantation qui appartient à sa famille depuis la guerre civile. Toute la ville la croit coupable du meurtre de son fiancé John Mayhew bien que rien n’ait jamais été prouvé. Sa tranquillité est dérangée le jour où la ville décide la construction d’une autoroute sur la propriété familiale. Charlotte décide alors de se battre. La dernière héritière de la propriété profite de l’occasion pour la faire interner comme folle.
Notre avis : Après avoir dynamité le western, le film noir ou de guerre, Aldrich avait fait du cruel face à face entre Bette Davis et Joan Crawford un succès en 1962 (Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?) ;d’où le projet d’un film un peu similaire dont les thèmes, comme l’enfermement dans le passé, les haines recuites, un lourd secret ancien, seraient ravivés par les mêmes actrices. Mais Crawford déclara forfait pour des raisons de santé, et le cinéaste fit appel à la très lisse Olivia de Havilland, idéale pour contrebalancer les hystéries de Davis et incarner un personnage longtemps hypocrite.
Le film commence par des vues extérieures de la résidence qui sera le lieu principal du drame et son symbole ; puis la caméra entre brutalement par une fenêtre dans une pièce où une dispute a éclaté entre le propriétaire, interprété par l’imposant Victor Buono, qui était déjà dans Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?, et l’amant de sa fille. En quelques minutes, Aldrich impose son style agressif en même temps que deux motifs qui structurent le scénario : l’effraction et le conflit. L’effraction, vite renouvelée par des gamins qui jouent à se faire peur, c’est celle des multiples personnages qui ne cessent d’entrer en catimini (le docteur, la bonne) ou de le tenter (le journaliste, l’assureur). Quant aux conflits, ils sont légion : Charlotte et sa bonne, la cousine Miriam et la bonne, Miriam et Charlotte, sans compter ceux qui sont larvés ou plus larges (ah ! Ces bonnes gens sur lesquelles se termine le métrage …). Pendant un temps, après l’exposition et le meurtre initial du soupirant, c’est l’hystérie qui domine : Charlotte tire sur des ouvriers, se dispute avec son employée qui est un modèle absolu de vulgarité (méconnaissable Agnes Moorehead, la mère de Ma sorcière bien aimée…), le tout dans une atmosphère délétère et étouffante que le travail sur la lumière dans les intérieurs magnifie. Il faut dire qu’au mépris parfois des sources lumineuses, l’image sculpte dans un noir et blanc somptueux des ombres signifiantes, abruptes, violentes : ainsi du shérif, que l’ombre d’un ventilateur « décapite », mais aussi d’innombrables plans où les visages sont barrés, les corps invisibles. Bref Aldrich installe un monde du caché et du menaçant qu’il parvient à tenir sur la plus grande partie du film, hormis de rares extérieurs, nécessaires respirations.
Le réalisateur ne s’embarrasse pas de bon goût : à la séquence du meurtre, à la fois très stylisée et gore, répondent des extravagances (plongées verticales, amorces imposantes…) qui façonnent un délire visuel correspondant à l’enfer intime de Charlotte. Il ose tout, comme cette séquence de bal onirique, ou des images déformées, avec une brutalité incandescente ; et si tel passage évoque d’autres films (la « mort » de Joseph Cotten ne peut pas ne pas faire penser aux Diaboliques de Clouzot quand la manipulation de Charlotte renvoie à Hantise de Cukor), la vigueur du cinéaste n’appartient qu’à lui. À son service, Bette Davis n’y va pas non plus avec le dos de la cuillère : grimaces, yeux exorbités, corps déformé, hurlements… Un vrai numéro de cabotinage accentué par les gros plans sur sa face ridée ; à l’opposé, la très sage de Havilland, avec son visage poupin, compose une dangereuse revancharde très crédible.
Le film repose également sur la mise en scène : pour faire interner Charlotte, le docteur et Miriam déplacent des objets ou jouent du clavecin, l’enfermant dans un cauchemar qui rejoue sans cesse son traumatisme. Ils se comportent en manipulateurs de spectatrice, comme Aldrich dévoilant assez tard la machination. Mise en abyme, sans doute, mais aussi description précise d’un univers gangrené par la cupidité et la revanche, dans lequel, malgré une fin relativement optimiste, c’est le mal et l’ombre qui l’emportent. Car au fond, si Charlotte connaît in fine la vérité, elle aura vécu la majeure partie de sa vie dans le ressassement et le mensonge. Difficile de voir là un happy end.
Certes, le film n’est pas exempt de défauts : la fin est un peu expédiée, le personnage de l’assureur mal dessiné ; mais, par ses outrances, ses acteurs, le soin apporté à l’image, Chut... chut, chère Charlotte est bien plus qu’un simple démarquage de Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?, une œuvre puissante dominée par une vision noire. Du grand Aldrich.
Galerie Photos
Le choix du rédacteur
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.