Le 4 janvier 2020
Immense gageure que de montrer en près de deux heures le destin d’un artiste, rescapé de l’alcoolisme et de la consommation de drogues, sur le point de vaciller. Abel Ferrara offre un chef-d’œuvre sombre dans une ville de Rome éclatante de beauté.
- Réalisateur : Abel Ferrara
- Acteurs : Willem Dafoe, Anna Ferrara, Cristina Chiriac
- Genre : Drame
- Nationalité : Américain, Britannique, Italien
- Distributeur : Capricci Films
- Durée : 1h55mn
- Date de sortie : 8 janvier 2020
- Festival : Festival de Cannes 2019
Résumé : Tommaso est un artiste américain vivant à Rome avec sa jeune épouse européenne Nikki et leur fille Dee Dee âgée de 3 ans. Ancien junkie, il mène désormais une vie rangée, rythmée par l’écriture de scénario, les séances de méditation, l’apprentissage de l’italien et son cours de théâtre. Mais Tommaso est rattrapé par sa jalousie maladive. À tel point que réalité et imagination viennent à se confondre.
Notre avis : Le porche dans lequel Tommaso pénètre ressemble à un immeuble parisien, aux colonnes dégarnies et aux façades jaunies. Sauf qu’ici, c’est la belle et noble ville de Rome. Abel Ferrara a beaucoup filmé New York. Cette fois, il installe sa caméra dans la capitale italienne que l’on n’a pas vue au cinéma aussi saisissante de beauté depuis longtemps. Ça ressemble à une ville bobo, avec ses petits parcs d’enfants qui bordent des vestiges romains, ses immeubles aux couleurs du soleil et ses lumières nocturnes qui arrosent les boulevards. Dès l’entrée en matière, le cinéaste donne la voix à son comédien fétiche, Willem Dafoe, qu’il ne lâchera plus pendant deux heures. Il filme son comédien au plus près du visage, rajoutant aux fissures du visage des effets de lumière. En réalité, Ferrara filme deux monuments à la force poétique et ravageuse : Rome et son acteur principal. Il y a une telle connivence entre la capitale et le comédien que tous les deux semblent indissociables de ce récit tragique et profond.
- Copyright Les Bookmakers / Capricci Films
Willem Dafoe et Abel Ferrara se connaissent bien. Au point d’ailleurs que tout le long-métrage joue de l’ambiguïté entre la fiction, l’autobiographie et le reportage sur l’acteur lui-même. On surprend même subrepticement une caméra à travers le reflet d’une vitre, dans l’appartement principal de Tommaso, comme pour affirmer l’ambivalence totale du genre, qui brouille les lignes entre l’imaginaire et le réel. D’ailleurs, le personnage de Tommaso est toujours sur le point de vaciller. Il est hanté par des hallucinations visuelles, des rêves qui le décalent en permanence de la réalité. Le seul endroit où il arrive à se sentir à sa place demeure le studio de cinéma où il enseigne le métier de comédien à des jeunes gens. Tommaso vit dans un appartement cossu du centre de Rome, avec sa fille, et sa très jolie épouse, toutes deux étant respectivement les fille et épouse du réalisateur lui-même. Il écrit un scénario de film où il se met en scène. Il pourrait nager dans le bonheur, et pourtant, il semble en permanence sur le point de rechuter dans l’addiction ou de perdre pied avec la réalité. Autour de lui, il y a une constellation de personnages réels qui jouent leur propre rôle dans le long métrage, comme ce clochard ivre dont on apprend que la scène a été tournée dans la rapidité, sans explication réelle, donnant ainsi au film un sentiment cinématographique rare : celui d’une intégrité, s’incarnant dans la beauté du geste de la main qui le relie au héros. Plusieurs scènes de cette intensité-là peuplent le récit qui, certes, constitue un hommage direct de Ferrera à son comédien, mais aussi à Rome et ses habitants, filmés dans l’instantanéité de ce qu’ils sont dans la vie.
- Copyright Les Bookmakers / Capricci Films
Il ne faut pas chercher dans Tommaso un fil conducteur. Le film procède par une manière d’impressionnisme où la personnalité fragile du héros prend forme, à coups de scènes posées les unes à côté des autres. Tommaso semble en apesanteur entre son épouse qui se refuse sexuellement à lui, sa petite fille qui marque une certaine distance avec lui, ses élèves qu’il confond parfois avec des amantes, et surtout ses compagnons de galère qu’il retrouve aux Alcooliques Anonymes. Le vacillement n’est jamais loin et Ferrara transforme son antihéros en une sorte d’icône d’un romantisme contemporain. Sans dévoiler la fin intrigante et sulfureuse, le personnage de Tommaso commet l’irréparable, se sacrifiant en martyr de sa propre tragédie narrative. Il incarne un dandysme moderne, étranglé par son passé de consommateur de drogues, son désir de salvation et de normalité, et son envie de créer.
- Copyright Les Bookmakers / Capricci Films
La meilleure façon d’apprécier ce film à sa juste valeur est de se laisser perdre par le récit esquissé par Ferrera et Dafoe. Il faut aussi, à la façon dont les jeunes comédiens l’apprennent dans l’école de cinéma, s’abandonner complètement à l’étrangeté du scénario, et renoncer, le temps du film, à distinguer le réel de sa représentation.
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Kryto 7 janvier 2020
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Yasa 7 janvier 2020
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