Splendeur et misères des strip-teaseuses
Le 4 janvier 2020
En infiltrant les coulisses imaginaires d’un cabaret chic de gogo danseuses, Ferrara livre une comédie virtuose qui se regarde à la fois comme une étude de mœurs et un hommage émouvant rendu aux acteurs.
- Réalisateur : Abel Ferrara
- Acteurs : Asia Argento, Bob Hoskins, Sylvia Miles, Matthew Modine, Riccardo Scamarcio
- Genre : Comédie
- Nationalité : Américain, Italien
- Distributeur : Capricci Films
- Durée : 1h45mn
- Reprise: 8 janvier 2020
- Date de sortie : 8 février 2012
- Festival : Festival de Cannes 2007
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– Année de production : 2007
L’argument : Le Paradise est un cabaret chic de gogo danseuses situé dans le sud de Manhattan. Une usine à rêves dirigée par Ray Ruby, impresario éminemment charismatique, assisté par ses vieux compères et une bande de personnages pittoresques. Malheureusement, tout ne va pas pour le mieux au Paradise : les danseuses menacent Ray d’une grève, qui doit également affronter la colère de la propriétaire des lieux bien décidée à les expulser. Ray tente sa chance à la loterie.
Notre avis : Tout commence par un air du Lac des cygnes. On se souvient de l’état de grâce atteint par Nina Sayers à la fin de Black Swan : « It was perfect ». Moment d’extase trompeur dans ce petit paradis artificiel que constitue parfois la scène : si trompeur que la mort venait le balayer d’un revers de griffe. C’est pourtant bien sur une note commune que s’ouvre le film de Ferrara. Sur l’air du ballet de Tchaikowsky, notre regard balaie le corps d’une jeune danseuse en tutu rose. Loin de la perfection rêvée par Nina, la danseuse en question a l’air plutôt maladroite, poupée fragile dans ce monde peuplé d’apparences que constitue le Paradise, lieu protéïforme faisant successivement office de boîte de strip-tease et de cabaret chic.
- © The Jokers / Capricci Films
D’un film à l’autre, changement de registre : nous voilà désormais dans le grotesque assumé. Et pourtant, au-delà des différences de tonalités qui séparent les deux films, Black Swan et Go Go Tales travaillent peut-être une même matière : celle d’un corps aspirant à l’élévation, à la métamorphose, que ce soit par le déni aliénant de sa sexualité ou par sa revendication la plus outrée.
A sa manière, en infiltrant les coulisses imaginaires d’un club de strip-tease sur le déclin, Ferrara interroge en effet le rapport difficile qui s’instaure avec le public dans un monde où la mise en scène de soi est un détour obligé pour être estimé. The show must go on : telle pourrait être la devise figurant à la porte du Paradise, sorte d’Apollonide moderne où le goût du kitsch et de l’exubérance a remplacé le décadentisme baudelairien. Car ici tout le monde joue : les filles, bien sûr, créatures de pacotille hantées par le rêve d’une possible carrière dans le monde du spectacle, réduites à des poses parfois cyniques - les numéros de la provocatrice Monroe / Asia Argento par exemple - et cherchant désespérément impresarios et producteurs ; mais aussi et surtout les personnages tenant les ficelles : la propriétaire des lieux, riche bourgeoise haute en couleur (Sylvia Miles, icône de Morrissey), Johnie Ruby (excellent Matthew Modine), frangin du patron et coiffeur richissime promenant sa gueule d’ange dans les coulisses labyrinthiques du club, et bien sûr Ray en personne (bouleversant Willem Dafoe), qui livre d’un bout à l’autre une véritable performance en solitaire pour sauver le Paradise menacé par la faillite et empêcher que ses propres rêves ne s’effritent.
- © The Jokers / Capricci Films
Tout le monde joue et tout le monde s’y perd. A commencer par le spectateur d’abord dérouté par une intrigue-prétexte (perte d’un billet de loterie) offrant surtout l’occasion de découvrir chacun des personnages, au point que la veine caustique de Ferrara s’apparente ici à une étude de mœurs permettant d’épingler - certes avec une ironie bienveillante - le petit monde du spectacle sous toutes ses coutures, depuis les ambitieux qui le composent jusqu’à ses rêveurs malheureux. Mais l’humour, ici, n’empêche en rien d’accéder à leur sensibilité, refusant la voie du second degré pour interroger la part d’humanité qui se mêle à cette représentation idéale d’eux-mêmes. Témoin le soliloque de Ray qui confesse avec autant d’arrogance que de désespoir sa dépendance au jeu, à la représentation, son besoin d’exister aux yeux des autres ; métaphore du comédien aux prises avec l’image idéale qu’il s’est construite et soudain rattrapé, puis dépassé par les exigences sociales avec lesquelles notre monde compose.
- © The Jokers / Capricci Films
En cela Go Go Tales est un film terriblement réaliste, où la réalité déborde la fiction de toutes parts pour lui imposer ses impératifs financiers les plus stricts - puisqu’il s’agit pour Ray de verser à ses employées leur salaire tout en réglant le loyer du club. Les échappées sont rares, à l’exception de quelques numéros fredonnés dans une ambiance sirupeuse - bel hommage rendu par Ray à ses « filles », et par Ferrara à ses comédiennes. Si le Paradis existe, c’est à grand renfort de crédits, de mensonges, de promesses illusoires, de croche-pattes faits entre acteurs. Mais dans ce brouhaha et cette impression constante d’improvisation se joue aussi la possibilité d’un miracle, qui interviendra à la toute fin du film sous la forme d’un Deus ex machina quasi grotesque, planqué dans un vieux costume ressorti sous le coup de l’inspiration : et le film de recommencer, nouvelle fiction s’engendrant d’elle-même, bouleversante révélation pour le spectateur qui, pris d’une peur panique, avait presque perdu toute foi dans le mensonge.
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