Le 20 avril 2021
Roman-somme et pastorale victorienne dévoyée, le Tess d’Urberville de Thomas Hardy est aussi une superproduction de 1979, menée cœur et œil battant par le meilleur Polanski de l’Histoire, tout juste sorti de Chinatown et du Locataire. Éloge de la restauration et couronnement de Nastassja Kinski.
- Réalisateur : Roman Polanski
- Acteurs : Nastassja Kinski, Leigh Lawson, Peter Firth, John Collin, Tony Church
- Genre : Drame, Romance
- Nationalité : Britannique, Français
- Distributeur : AMLF Distribution
- Durée : 2h51mn
- Date télé : 27 août 2022 20:50
- Chaîne : Ciné+ Club
- Titre original : Tess
- Date de sortie : 31 octobre 1979
Résumé : Dans l’Angleterre du XIXe siècle, un paysan du Dorset, John Durbeyfield, découvre par hasard qu’il est le dernier descendant d’une grande famille d’aristocrates. Motivé par le profit qu’il pourrait tirer de cette noblesse perdue, Durbeyfield envoie sa fille aînée, Tess, se réclamer de cette parenté chez la riche famille des d’Urberville. Le jeune Alec d’Urberville, charmé par la beauté de sa "délicieuse cousine", accepte de l’employer et met tout en œuvre pour la séduire. Tess finit par céder aux avances d’Alec et, enceinte, retourne chez ses parents où elle donne naissance à un enfant qui meurt peu de temps après. Fuyant son destin, Tess s’enfuit de son village et trouve un emploi dans une ferme où personne ne connaît son malheur. Elle y rencontre son véritable amour : un fils de pasteur nommé Angel Clare. Ce dernier, croyant que Tess est une jeune paysanne innocente, tombe éperdument amoureux d’elle et, malgré l’abîme social qui les sépare, la demande en mariage.
Critique : Lorsqu’il explose en salle, agrégat sublime des visions pré-impressionnistes de Turner et de la nostalgie panthéiste de son livre-matrice, Tess murmure à l’oreille des vandales. On voudrait découper la toile et accrocher ses cadres au mur, cambrioler son énigme brumeuse et tout garder pour soi. Champ après champ, ferme après ferme, fog après fog, Polanski recrée le Dorset du XIXe sur les côtes bretonnes et normandes, prouvant également que le règne du détail naturaliste ne se consacre pas nécessairement au péril de la mystique. Les grands récits réclament de grands moyens, et on ne fait pas d’infidélités à Thomas Hardy sans risquer la peine suprême ou la panne d’essence : toute son œuvre est là - entre fatalisme social (on ne saute pas les classes comme ça), idéal de pureté étouffé sous les prescriptions morales et religieuses, état de nature corrompu et machinisme naissant – baignée qui plus est dans une lumière irréelle, qui ne cède jamais totalement à la terre ou l’abstraction. La preuve qu’un classique peut accoucher d’un autre classique, au mépris des formats.
Il y a une évidence impérieuse dans Tess, une cohérence plastique qui traverse le métrage et pointe toujours sous l’illustration. Le saint-patron et ses chefs opérateurs, triomphant d’une production titanesque, laborieuse comme la population filmée, préservent à l’image un sens du paradoxe qui sauve aisément les 2h50 de film du coma classiciste. Ses lumières rasantes tombent comme des condamnations, des vents anarchistes soufflent sur les nymphettes dansant au point du jour, les bois vert-profond sont des promesses de vie comme des cimetières de la vertu, et le rouge des fraises sauvages, offertes par Alex Stokes-D’Urberville - la bête trop-humaine - montre à quel point le destin victorien se moque de choisir entre le désir et le sang. Tess est une fleur du mal, une main de fer sous un tapis de velours en friche, dont les fausses arythmies (l’ennui s’apprivoise) ne freinent jamais la marche d’une narration aussi rigoureuse et inéluctable que le crépuscule à venir.
Film-monstre sur la culpabilité, et les absurdes besoins de transcendance, matérielle ou métaphysique, d’une humanité qui pense sauver son âme ou son cheval en fauchant ses plus belles œuvres, Tess est aussi un long point final, qui cache heureusement très mal une furie lancinante derrière ses longues séquences de désespoir champêtre. Onze ans après Rosemary’s Baby, Polanski est possédé à son tour. Bénissons ses présents. D’ailleurs, Nastassja Kinksi n’est pas le moins précieux.
Elle se plante là, la fille du grand Klaus, entre deux masures, deux chemins ou deux abîmes, belle comme un spectre, comme une Eve aux champs, plus ancienne et impérissable que tous les insectes en tweed, les culs bénis en deuil, ou les miséreux en loques qui s’agitent autour d’elle, et la précipitent tour à tour dans la bouche d’un enfer à qui elle n’avait rien demandé. C’est parce qu’elle n’est pas vraiment d’ici, ni chez Hardy, et surtout pas chez Polanski. Amante contrariée ou manipulée, martyre mutique, qui porte ses fautes sans les comprendre, Nastassja est une sorte de quintessence de Tess, le dernier et le plus beau souffle d’un monde païen qui s’endort à Stonehenge, après avoir été trahi par l’avidité de son clan, corrompu par celle du parvenu, et définitivement condamné sous le joug trompeur d’Angel (sic) Clare, pauvre gardien du temple et fils de pasteur qui court après sa vertu sans voir son innocence.
Que vous soyez un incorrigible rousseauiste ou un amoureux de l’empire de Roman, n’attendez pas la fin du monde pour en voir la beauté, et précipitez vous en salles pour goûter à la copie (bien) numérisée de cette église sauvage du cinéma pur, dont l’artisanat pointilleux n’empiète jamais sur les pulsations sans âge.
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Frédéric Mignard 10 décembre 2012
Tess - Roman Polanski - critique
Un film quasi spectral, ode aux toiles de Millet, alors que gronde en fond la révolution industrielle britannique.
La retranscription de l’oeuvre tragique de Thomas Hardy, à un train près (qui n’est pas dans le bouquin !), est d’une fidélité éblouissante, toute la dramaturgie et la poésie du romancier poète est au rendez-vous. Quant à Nastassia Kinski et son éclatante beauté, on reste évidemment amoureux face à une telle divinité !