Le 4 janvier 2020
Un roman magistral, une gifle lumineuse et sombre, tout à la fois entre l’Amérique des années 1980 et l’Amérique d’aujourd’hui.
- Auteur : Mesha Maren
- Editeur : Gallmeister
- Genre : Roman
- Nationalité : Américaine
- Date de sortie : 3 janvier 2020
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
- Festival : Rentrée littéraire 2020
Résumé : À trente-cinq ans, Jodi McCarty a passé la moitié de sa vie en prison. Condamnée à perpétuité, elle vient d’obtenir sa liberté conditionnelle. Elle part retrouver sa famille dans les collines pourpres des Appalaches, où un bout de terrain l’attend. Elle espère enfin construire sa vie. Mais avant de se tourner vers l’avenir, Jodi doit faire un détour par le passé et tenir une promesse. En route vers le Sud, elle fait la rencontre de Miranda, une jeune mère désemparée qui fuit son mari. Mues par un coup de foudre électrique, les deux femmes décident de prendre ensemble un nouveau départ. Mais Jodi ne tarde pas à se heurter à un monde dans lequel les gens refusent d’oublier ou de changer.
Notre avis : Une femme qui sort de prison, une épouse de pop star, mère de trois enfants, des dealers, une riche militante écologique. Pour écrire ce roman, Mesha Maren semble puiser dans ses propres souvenirs, dans la cabane où elle a grandi, dans l’histoire des femmes que son père allait voir en prison et côtoyait grâce à l’association pour laquelle il travaillait.
Brut, pur, comme l’écriture, bouleversant de justesse et de vraisemblance, Sugar Run nous emporte aux États-Unis, nous ballotte de 1987 à 2007, le passé au présent, le présent au passé, dressant des parallèles saisissants, racontant des amours interdites, des amours dangereuses, toxiques, nocives. Des amours fondées sur la possession et la violence, sur la jalousie et la passion. Sur la destruction.
Les femmes sont les reines du roman de Mesha Maren. La Virginie et ses champs, ses forêts bientôt dévastées par de sinistres exploitants pétroliers en sont un personnage à part entière, au même titre que Jodi et ses rêves inatteignables, ses rêves touchants d’ignorance et d’innocence. Comme si elle n’avait rien appris, comme si le passé ne lui avait fait tirer aucune leçon de la vie, des décisions à prendre, des cycles de chance – les sugar runs au poker, à prendre en marche et sur lesquels surfer, des bad runs à éviter. Non, Jodi répète les mêmes erreurs, elle se leurre, elle s’illusionne et c’est ce qui rend son personnage si attachant. Les mauvaises rencontres s’enchaînent, les mauvais pas également. Les circonstances malheureuses, les hasards qui n’en sont pas vraiment. Le passé qui se rejoue, le passé qui étouffe et contraint. La fatalité.
L’auteure sait créer une tension, une atmosphère changeante, mouvante, modulée par la lumière décrite à la perfection. La douceur d’une matinée, l’indolence d’un road-trip nocturne balayé par les phares des rares voitures, le lugubre d’une soirée dans un motel aux néons clignotants. Le soleil et les ampoules baignent les phrases et les mots d’une aura particulière, leur confèrent toute leur beauté, beauté inquiétante, oppressante et traître – une beauté qui rend dépendant et qui camoufle les affres de la passion, les responsabilités du quotidien, et tout ce qui devrait frapper le regard, frapper l’esprit. L’évidence, les preuves que le cycle où sont enfermées les héroïnes est bien un bad run…
Sugar Run - Mesha Maren
Gallmeister
384 pages
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Kirzy 14 février 2021
Sugar Run - la critique du livre
« Peut-être, pensa Jodi, que la liberté, c’était comme plonger dans l’océan, ou remonter à la surface, plutôt. Elle avait entendu dire qu’on pouvait en mourir, de remonter trop vite. Quelque chose continuait votre sang. »
Dès les premières lignes, le récit s’inscrit dans la lignée du roman noir. Jodi est libérée de prison après 18 ans purgés pour meurtre, plus de la moitié de sa vie. Une vie à reconstruire sur les terres familiale, en Virginie-Occidentale, une promesse à tenir, une société à réintégrer.
Tout l’enjeu du roman est de savoir si, une fois passé le choc de la liberté, Jodi va pouvoir accéder à la résilience et construire la vie de paix et d’amour qu’elle appelle de ses voeux. Challenge d’autant plus difficile que les personnes qui l’entourent sont toutes comme elle border-line : Rickie, le frère de sa petite-amie décédée avant son incarcération, personnage troublé et troublant qu’elle entend « sauver », et Miranda, mère de famille en fuite, complètement paumée, impulsive et charmeuse, avec laquelle Jodi entame une relation amoureuse pas si simple. Tout peut basculer, on sent la tension derrière chaque décision de Jodi, on sent la violence sourde qui peut exploser à tout moment.
Si la construction aurait pu gagner en clarté, le talent de l’auteure est évident au fil de cette lecture. Elle impose un univers très sensible au genre du roman noir américain souvent enseveli sous une avalanche de testostérone. Là, au contraire, on a un vrai point de vue féminin, construit et intelligent, plongé dans une Amérique des marges parfaitement décrite. La société des Appalaches, rongée par la misère, les trafics de drogue et l’homophobie, en proie à l’avidité des compagnies de gaz de schiste, propose un cadre réaliste et dramatique très intéressant à la reconstruction possible de Jodi.
Les meilleurs moments de Sugar run se déploient lorsque l’auteure décrit ce monde qui va mal à travers les yeux de Jodi et son ressenti profond. J’ai senti chacune de ses gouttes de sueur, de ses espoirs, de ses effrois, chaque rayon de soleil que reçoit sa peau. L’écriture de Mesha Maren est d’une grande sensualité et offre au lecteur de superbes pages évoquant avec un lyrisme sobre et juste la nature à laquelle Jodi aspire. Certaines passages sont presque inattendus de tendresse, comme entendre des oiseaux chantés juste après une fusillade.
Un premier roman singulier et sensible comme je les aime.