Critique : Récit à la première personne, Starship Troopers, dont l’adaptation hollywoodienne par Paul Verhoeven en 1997 a participé à la notoriété, nous entraîne avec brio dans les considérations adolescentes de Johnnie Rico. Ce dernier s’engage dans l’armée et nous donne l’occasion de découvrir une par une les étapes à franchir pour servir tout à fait le système dans lequel il évolue. À travers Rico, Heinlein s’applique à détailler avec une précision hors du commun le fonctionnement de l’armée qu’il invente dans ce monde fictif, et en conséquence celui de sa démocratie. Car dans le monde de Starship Troopers, seuls les militaires sont citoyens, et cette démocratie censitaire a les meilleures raisons d’être.

Cette situation conduit à un paradoxe, du moins un inconfort moral, qui fait le sel du roman, dont le titre français d’origine rend mieux compte du contenu : Etoiles, garde-à-vous ! Qu’on s’entende : il est impossible, a fortiori en connaissant les engagements civils de Robert A. Heinlein contre tous les totalitarismes, de penser qu’il fasse la promotion d’un système fasciste au premier degré. Simplement, la qualité de son argumentaire, qui expose patiemment les preuves de sa supériorité, obligé à une lecture rigoureuse. En nous poussant constamment à penser contre lui ou à mettre en cause les arguments brillamment énoncés – il y a fort à parier et à espérer que nombre d’entre nous récusent un système ouvertement fasciste – il contraint le lecteur à être actif, à être engagé dans sa lecture à un haut degré. Ce qui est toujours une qualité.

Heinlein nous propose ainsi un grand livre de théorie politique qui, en plus de dévoiler les arcanes d’un régime militaire, décrit à merveille les raisons poussant un jeune homme à le défendre. En mentionnant ses qualités précises, voilà que nous abordons ses limites, qui viennent presque par contraposée : Starship Troopers est relativement dénué de cœur. C’est un cerveau sur pattes, mais il ne vibre pas. Ses circonvolutions technico-rhétoriques sont d’ailleurs insérées dans le récit au chausse-pied, et il faut que Johnnie repense à ses cours théoriques du lycée pour qu’on nous les expose en conséquence. Starship Troopers, sans le réduire à un vulgaire cours de politique, trace aussi ce sillon dans son rapport aux personnages : pas très fouillés, presque tous secondaires, ils pâtissent d’une écriture superficielle qui conduit in fine à mélanger certains lieutenants, commandants, adjudants, seconds et autres sergents.

L’essentiel est bien sûr ailleurs, ce que prouve un style simple et direct, logiquement parlé. Il réside dans sa virtuosité conceptuelle, passionnante, mais pas vivante.