Sous le règne de la terreur
Le 14 avril 2004
Dire non à Hitler : le courage d’un couple d’anonymes dans le Berlin terrifiant des années de guerre.
- Auteur : Hans Fallada
- Editeur : Folio
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Allemande
Pourquoi les Allemands se sont-ils si peu rebellés ? Comment se fait-il que l’énorme majorité d’entre eux ait subi le joug hitlérien comme un troupeau de moutons ? Ces questions, chacun de nous se les est posées et Seul dans Berlin, qui vient de ressortir en format poche chez Folio, donne les meilleures des réponses à ces interrogations. Hans Fallada, écrivain best-seller de l’entre-deux-guerres, connaît parfaitement son sujet. Ses propres livres ont été brûlés en autodafé par le régime nazi. Il se terre pendant toute la guerre puis, celle-ci à peine terminée, il témoigne d’une voix blanche de ce qu’était la vie à cette époque.
Pas d’effets de manche pour cette chronique au jour le jour mettant en scène quelques obscurs et sans grade vivant dans le même immeuble de la rue Jablonski. Fallada décrit le cheminement de ces anonymes : une vieille dame juive emportée dans la tourmente, une famille entière se ralliant à la SS, un mouchard plus bête que méchant, un brave juge à la retraite, une postière qui démissionne du parti et surtout deux vieux ouvriers qui se lancent dans une entreprise insensée après la mort de leur fils unique lors de la campagne de France : déposer dans des cages d’escaliers des cartes postales dénigrant le Führer et sa politique. Il fallait un courage au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer pour oser ce geste. Car Hitler a enfermé le peuple allemand dans un piège sans issue : la vie privée n’existe plus, chacun surveille l’autre, chacun est le suspect de l’autre, pire, chacun est l’ennemi en puissance de l’autre. Implacable et terrifiant engrenage qui plombe le quotidien et fait que même le plus intime, la liberté de penser, est annihilé.
Dans ces conditions extrêmes - que Fallada décrit avec un réalisme terrifiant -, résister peut paraître impossible ou vain. Certains cependant oseront dépasser le seuil de la peur animale, œuvrer à leur humble échelon pour tenter d’effacer ce que seule "la tiédeur“ a rendu possible. Sur l’utilité de la mission que ces héros modestes se sont assignée, l’auteur n’épilogue pas. Ils devaient le faire. Ils l’ont fait. Conscients des risques et conscients de l’impossibilité de rester à ne rien faire. À méditer de toute urgence.
Hans Fallada, Seul dans Berlin (Jeder stirbt für sich allein, traduit de l’allemand par A. Virelle et A. Vandevoorde), Folio, 2004, 558 pages, 7,30 €
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René Fix 30 août 2004
Seul dans Berlin - Hans Fallada
Si le militantisme du Net (existe t-il vraiment) devait ne faire découvrir qu’un livre, comme il me plairait que ce soit Seul dans Berlin. Fallada ne révolutionne pas l’art romanesque mais la force modeste et terrifiante à la fois qui se dégage de ses personnages et de son sujet suffit à valider ses choix esthétiques. L’histoire de ce couple qui, lentement découvre les vertus et les peurs de l’engagement politique, sans le recours à un appareil politique, mais simplement, pour survivre, voilà un "message" qui dépasse le monstrueux contexte historique du roman. on ne peut pas ne pas penser à Brecht et à sa Misère du IIIème Reich, sauf que dans le roman de Fallada, le souffle même de l’intrigue nous éloigne à tout jamais de l’anecdote, si symbolique soit-elle, pour nous plonger dans une descente aux enfers quotidienne. je pense que ce livre nous livre une des clés pour comprendre la montée du nazisme et le silence trop complice du peuple allemand. Fallada nous montre un petit peuple de Berlin qui vit dans la peur, comme Brecht, et qui ne développera que tardivement, et dans le tourment même de sa chair, une réflexion politique construite sur l’action. Pour ce couple qui va, au péril de sa vie, distribuer des tracts "humanistes", pour les personnages qui l’entoure, pour cette "petite" histoire il faut lire Fallada et donner encore et encore raison à Primo Levi : c’est un livre essentiel pour comprendre le nazisme, une illustration romanesque du travail de Ian Kershaw.