Rosatigre

Prise de risque totale et grâce enjouée : Filippo Timi est extraordinaire dans ce film libre et sans cesse surprenant de Tonino de Bernardi, immense cinéaste italien à l’audience bien trop confidentielle.

L’argument : Antonello est un jeune napolitain qui se prostitue à Turin travesti en femme sous le nom de Rosatigre. Son ami Sasà vient le chercher pour le ramener à Naples. Rejoints par Wanda, une collègue, ils y passent la période des fêtes de fin d’années chez deux amies, y font de nouvelles rencontres...

Notre avis : Tonino de Bernardi tourne depuis 1967 (Il mostro verde coréalisé par le peintre Paolo Menzio), mais c’est surtout à partir de Elettra (1987), mention spéciale au Festival Cinema Giovani de Turin, qu’il a acquis une certaine notoriété. Viaggio a Sodoma (1989), Piccoli orrori (1994), Appassionate (1999), tous remarqués dans divers festivals, précèdent ce Rosatigre qui fut accueilli avec enthousiasme lors de sa présentation à Venise en 2000 dans la section Nuovi Territori.
C’est la liberté et la générosité du regard qui frappent à la vision de ce film qui ne saurait être rangé dans aucune catégorie bien définie : à la fois documentaire et fiction, mêlant acteurs professionnels et gens de la rue, proche de l’underground mais éloigné de tout intellectualisme et assumant un côté amateur au meilleur sens du mot.
Etranger à l’idée même de forme close, refusant le confort d’un scénario articulé ou d’un sens préétabli, le travail du cinéaste consiste à rendre possible le surgissement de l’imprévu. Tonino de Bernardi est en totale empathie avec ses personnages de marginaux naviguant sur la crête de la vague et réussit l’exploit de ne jamais tomber dans le voyeurisme ni dans le naturalisme trash, mais parvient au contraire à nous communiquer un sentiment de légèreté enjouée, tout à la fois euphorisante et mélancolique.
Car c’est par le jeu sur les stéréotypes et les rôles figés, endossés pour être déjoués, la musique ou plutôt les musiques, le chant et la danse, le déguisement qui redéfinit les frontières du masculin et du féminin, les déambulations dans les rues de Naples, la nuit ou au petit matin, que les personnages de Rosatigre se cherchent et se trouvent pour mieux se reperdre.
L’atmosphère comme en suspens, les strass et les paillettes dérisoires, l’ivresse triste de la fête, les gags déconcertants (le talon aiguille s’enfonçant dans le fromage qui, goûté après, sà di strada - sent la rue) : rien n’a l’air concerté ou guidé par une intention cachée, mais respire la vie enfin révélée.

Filippo Timi (Vivere), peut être le meilleur acteur italien actuel, avait été découvert au théâtre par Tonino de Bernardi qui l’avait fait jouer dans Appassionate et fera à nouveau appel à lui pour Fare la vita. Composant aussi certaines des chansons et s’occupant des costumes, il s’est investi corps et âme dans le film : il chante, danse, adopte les tenues et les postures les plus incroyables en conservant une grâce totale et sans jamais avoir l’air d’interpréter son personnage ou de recourir aux facilités de la psychologie.
Tonino de Bernardi n’a cessé de tourner depuis (Fare la vita, La strada nel bosco, Lei, Serva padrona, Madame Butterfly - L’attesa) , mais Rosatigre est le seul de ses films disponible en DVD à ce jour. Médée Miracle (2007) qui sort en France le 30 mars 2011 devrait enfin le faire mieux connaître chez nous.