Médée Mirage
Le 30 mars 2011
Une transposition du mythe qui multiplie les propositions expérimentales mais finit par s’égarer dans un hermétisme ennuyeux.
- Réalisateur : Tonino De Bernardi
- Acteurs : Isabelle Huppert, Lou Castel, Tommaso Ragno, Giulietta De Bernardi
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Italien
- Date de sortie : 30 mars 2011
- Plus d'informations : Le site du film
– Durée : 1h21mn
Une transposition du mythe qui multiplie les propositions expérimentales mais finit par s’égarer dans un hermétisme ennuyeux.
L’argument : Médée, héroïne du mythe grec, est devenue Irène, qui vit aujourd’hui parmi nous. Elle est une étrangère qui a abandonné sa terre d’origine pour épouser un Français, Jason, le père de ses deux enfants. Elle chante chaque soir dans un cabaret pour subvenir aux besoins de sa famille. Un jour pourtant, Jason la quitte pour une autre, une Française.
Notre avis : Isabelle Huppert était sans aucun doute à la hauteur d’un rôle comme Médée. Elle apporte au film une contribution qui justifie presque à elle seule cette tentative de réécriture du mythe. Celle-ci ne manque d’ailleurs pas d’originalité et interroge des thèmes aussi contemporains que l’immigration ou la garde des enfants en cas de séparation. Mais rien n’y fait : elle tombe à plat, et ce en raison de contradictions latentes que le cinéaste n’a pas su résoudre.
La première tient au réalisme du film. Médée se veut une adaptation brûlante (omniprésence des flammes) d’un mythe intemporel qui s’essaie à glisser dans la fable originale un ensemble de thématiques propres à notre monde. Du même coup, c’est souvent une approche documentaire assez minutieuse que privilégie Tonino De Bernardi, filmant sans pudeur les rues de la (proche) banlieue et les regards fuyants de son héroïne en proie au chagrin. Mais l’aspect documentaire n’est que partiellement assumé par le cinéaste, qui le balaye toujours au profit de séquences fictives très abstraites, souvent proches de la récitation théâtrale, et qui créent une distance pompeuse - sur un sujet qui prêtait pourtant à l’émotion. L’intrusion de cartons explicatifs - parfois sous forme de questions mystères : le miracle aura-t-il lieu ? - appuie à l’extrême une volonté de commenter les images, finissant par détourner notre intérêt de l’essentiel (Médée elle-même).
Le récit doit ainsi assumer deux types de séquences, les unes plutôt réalistes et les autres assez abstraites, dans un rythme qui ne permet pas de s’adapter à l’une ou l’autre de ces atmosphères. Et le regard porté sur les personnages s’en ressent. Médée s’essaie tour à tour à une forme de proximité et d’introspection psychologique (jeu d’acteur à fleur de peau) pour l’abandonner à l’occasion, à travers des dialogues schématiques et déclamés sans conviction - sans doute pour montrer le désarroi des personnages, mais autant dire que seule Huppert parvient à tirer son épingle du jeu. On est parfois mal à l’aise devant certaines séquences, comme celles où Irène-Médée est confrontée aux magistrats (dialogues faibles, manque de justesse dans l’émotion). De ce point de vue, l’utilisation de la DV n’est pas complètement mise à profit, Bernardi n’en tirant guère de force dramaturgique. Seules les scènes évoquant le souvenir, sous forme de poèmes visuels, parviennent à séduire.
L’ensemble souffre enfin d’une (dé)construction par chapitres assez complexe, et dont on ne sait si elle est un artifice de plus ou si elle apporte réellement du sens à l’intrigue. Le cinéaste a sans doute cru - et c’est là son erreur - que la performance d’Huppert et l’adaptation d’un mythe en soi universel suffiraient à masquer les faiblesses de la mise en scène. Intimidé par son propre sujet, il a effacé toute forme de parti-pris pour se réfugier dans un hermétisme assez ennuyeux. De ce qui aurait pu être un drame flamboyant - on sent parfois l’influence de Pasolini - il a fait une sorte de poème visuel qui pourra séduire les amateurs de films expérimentaux, mais décevra les spectateurs en quête d’une authentique tragédie.
La bande-annonce :ICI
Galerie photos
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Claude Rieffel 30 mars 2011
Médée Miracle - la critique
On ne sort pas totalement indemne de la vision du nouvel opus de l’auteur de Rosa Tigre (pas tout nouveau puisqu’il date de 2007), car s’il est expérimental c’est au sens de l’expérience concrète, éloignée de tout intellectualisme et libre de discours préconçu comme de message politique ou mystique.
Tonino De Bernardi observe avec une désarmante et merveilleuse simplicité la rencontre du mythe avec le quotidien d’une banlieue parisienne révélée à sa surprenante beauté ; celle, véritable, qui intègre la laideur. Car en baroque authentique, le cinéaste, proche à la fois de Schroeter et de Pasolini, pratique un cinéma de poésie humble et artisanale qui fait cohabiter luxe et pauvreté en laissant au réel son étrangeté irréductible et aux personnages leur mystère.
Le jeu anti-psychologique et anti naturaliste de l’actrice de Malina et de Deux fait une fois de plus merveille et sa Médée-Irène est un bloc d’opacité bouleversant.
Intégrant sans peine des oeuvres préexistantes à la beauté intrinsèque (citations textuelles, musiques : le magnifique Carmela de Sergio Bruni ou le bel arrangement du Crazy love de Marianne Faithfull et Nick Cave que chante Huppert) le collage poétique de Médée-Miracle porte bien son titre, car c’est le miracle du cinéma qu’il renouvelle à tous les instants.