Mythologie quotidienne
Le 8 février 2012
Pas une relecture forcée du mythe mais une vision poétique qui retrouve tout naturellement la mythologie dans le quotidien de la banlieue. Une des révélations essentielles de l’année 2011.
- Réalisateur : Tonino De Bernardi
- Acteurs : Isabelle Huppert, Maria de Medeiros, Lou Castel, Tommaso Ragno, Giulietta De Bernardi
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Italien
- Durée : 1h21mn
- Date de sortie : 30 mars 2011
L'a vu
Veut le voir
Année de production : 2007
Pas une relecture forcée du mythe mais une vision poétique qui retrouve tout naturellement la mythologie dans le quotidien de la banlieue. Une des révélations essentielles de l’année 2011.
L’argument : Médée, héroïne du mythe grec, est devenue Irène, qui vit aujourd’hui parmi nous.
Elle est une étrangère qui a abandonné sa terre d’origine, pour épouser un Français, Jason, le père de ses deux enfants. Elle chante chaque soir dans un cabaret pour subvenir aux besoins de sa famille.
Un jour pourtant, Jason la quitte pour une autre, une Française.
Notre avis : Pour Tonino De Bernardi, s’entretenant avec le public de la Cinémathèque après la projection de son film le 5 février 2012, la mythologie se présente à nous dans le présent et faire de Médée une étrangère menacée d’expulsion dans la banlieue parisienne, n’a rien de forcé et ne réclame ni justification, ni explication. Il concède d’ailleurs que, même quand il était professeur de collège, de scuola media, il n’aimait pas trop les explications.
Il ne s’agit donc pas de transposer le mythe ni d’en livrer à tout prix une relecture contemporaine mais plutôt de simplement juxtaposer des éléments qui peuvent ou non se répondre, faire sens. La passante qui traverse le champ de la caméra avec ses sacs de courses dans le plan filmé en plongée sur les marches de l’église après la cérémonie du mariage de Jason et de Louise n’est pas une figurante mais un corps étranger que le film accueille comme un cadeau de ce réel non assujetti à la fiction et qui continue d’exister à côté.
Dans cette logique de juxtaposition, d’association poétique, tout trouve naturellement sa place : une scène de caractère documentaire où l’on voit Martha (Giulietta De Bernardi), la compagne muette de Médée, travailler dans un atelier de couture (clandestin ?) et se faire longuement expliquer par le patron le fonctionnement de la machine ; les déambulations de Médée dans les rues de Pantin et d’Aubervilliers ou au bord d’un canal, paysages de périphérie urbaine dont on a rarement perçu comme ici la beauté secrète, admirablement captée par la photo de Tommaso Borgstrom ; les images d’actualité montrant des voitures en flammes lors des émeutes de 2005 (mais, insiste Tonino de Bernardi, ces feux, et tous les autres qui brûlent dans le film, avant de symboliser quoi que ce soit, sont des feux !) ; les paysans qui posent immobiles dans la cour de ferme où Médée écoute au magnétophone le poème des Chaussons rouges d’Anne Sexton ; ce poème lui-même, oeuvre étrangère, préexistante, que le film intègre tout en lui conservant son irréductibilité, comme il intègre une chanson napolitaine interprétée par Enza di Blasi, une autre de Marianne Faithfull (chantée par Isabelle Huppert), ou la musique bouleversante de Marc-Antoine Charpentier.
- Médée Miracle
Mais si ces emprunts font affleurer une beauté proche du sublime, le film ne cède pas pour autant à la tentation du grand style écrasant et écarte même la tragédie, choisissant de métamorphoser Médée en douceur plutôt que de la laisser accomplir son destin meurtrier tout tracé. C’est sans doute là le miracle annoncé par le titre, mais pour Tonino de Bernardi le miracle n’a rien d’exceptionnel, il est même quotidien. Car la vie, comme le dit le cinéaste, est en devenir et va à travers des chapitres. C’est pourquoi son film est tout naturellement ponctué de cartons séparant les différentes étapes du devenir de l’héroïne.
Médée ici ne tue donc personne, sauf en rêve ou en hypothèse : les mains en sang près du lit où dorment les enfants ; la peluche empoisonnée offerte à la rivale dans un merveilleux plan champêtre et paisible au centre duquel des chevaux immobiles sont simplement là à attendre tranquillement.
Un humour enfantin habite ces visions énigmatiques et pourrait-on dire, naïves, au sens où l’art naïf ignore superbement les règles figées du métier. Car Tonino de Bernardi, qui tourne des films sans interruption depuis quarante-cinq ans, est de ces cinéastes rares et précieux qui redécouvrent le cinéma à chaque fois, au risque de rester en marge des circuits officiels.
Isabelle Huppert, qui n’est pas vraiment une artiste underground, sait elle aussi oublier son savoir-faire à chaque nouvelle expérience. On comprend que Tonino de Bernardi, qui parle volontiers de son obsession-Huppert, ait absolument tenu à travailler avec cette actrice hors du commun. Elle non plus ne cherche pas à interpréter Médée ni a lui donner une dimension surhumaine (je ne suis pas une sauvage ! dit le personnage).
Ce refus de la grandeur solennelle et cette attention à un quotidien tout naturellement habité par le mythe et débarrassé de sa couche de banalité font le prix, inestimable, de ce film et de toute l’oeuvre, vaste mais malheureusement bien peu visible, d’un cinéaste modeste et pourtant immense.
- Médée Miracle
Lire la critique de Jean-Patrick Géraud qui n’a guère été sensible à la force poétique de Médée Miracle.
Pour l’auteur des lignes qui précèdent, il n’y a pas de doute : le film de Tonino di Bernardi est, malgré sa sortie confidentielle, une des deux ou trois révélations essentielles de l’année 2011 sur les écrans français.
Galerie photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.