Le 10 septembre 2012
Jusqu’où peut travailler la douleur et ronger l’individu qui la porte ? Jaime Rosales aborde la question par la crête, dans un film âpre et lent qui se perd parfois dans la contemplation formelle...
- Réalisateur : Jaime Rosales
- Acteurs : Yolanda Galocha, Oriol Rosello, Jaume Terradas
- Genre : Drame
- Nationalité : Espagnol, Français
- Durée : 1h50mn
- Titre original : {Sueño y silencio}
- Date de sortie : 3 octobre 2012
- Plus d'informations : Le site officiel du film
- Festival : Festival de Cannes 2012
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Jusqu’où peut travailler la douleur et ronger l’individu qui la porte ? Jaime Rosales aborde la question par la crête, dans un film âpre et lent qui se perd parfois dans la contemplation formelle...
L’argument : Oriol et Yolanda vivent à Paris avec leurs deux filles. Il est architecte, elle est professeur de lycée. Au cours de vacances dans le delta de l’Ebre, au sud de la Catalogne, un accident bouleverse leur existence.
Notre avis : Au centre du film, une perte. Pourtant, le moment de la perte se dérobe, il est éludé d’emblée par le récit. Le programme se met en place : il s’agit, coûte que coûte, de retrouver ce moment précis de la perte, et la béance qu’il crée en chacun de ceux qui ont perdu. Face à la catastrophe radicale, lorsque la mort d’un enfant semble inverser l’ordre des choses, les personnages de Rosales sont partagés entre l’excès de chagrin et le manque cruel des larmes. Si le film ne nous montre jamais le malheur « en face », c’est qu’il déborde de tous les côtés du cadre ; il est à la fois présent et absent. Nous mettons un peu de temps à nous rendre compte « qui » est réellement absent – cette confusion étant d’ailleurs gérée avec intelligence et subtilité –, mais nous ressentons directement cette absence. Rêve et silence se construit ainsi autour de ce flottement fragile, entraînant parfois le motif classique du deuil dans de belles idées de scénario et de mise en scène – ainsi la séquence où la mère, discutant avec une petite fille que nous voyons seulement de dos, croit parler à son enfant disparu –. Au lieu de les attaquer frontalement, le regard de Rosales a cette particularité de savoir se poser sur les à-côtés des scènes, comme si leur raison première ne se révélait que progressivement dans l’évolution du plan. La beauté plastique du film, tourné en pellicule noir et blanc, et la plupart du temps cadré à la perfection, contribue à cette impression de maîtrise extrême du découpage.
Ce qui manque principalement à Rêve et silence pour atteindre le cœur de son sujet concerne peut-être l’exigence de la densité. Relativement radical dans sa conception du récit, le film appellerait paradoxalement une rigueur d’autant plus grande. Rigueur, c’est-à-dire non la rigidité, mais la faculté de distinguer ce qui convient à chaque moment du récit. Une fois installé son dispositif principal – le plan-séquence de plusieurs minutes, en caméra fixe –, Rosales ne s’écarte plus de cette ligne, à un point tel que cette obstination en devient dommageable, notamment en ce qui concerne l’évaluation de la durée ; les plans s’étirent parfois jusqu’à leur propre dilution, quand ils contiennent pourtant des moments extrêmement intéressants dans les dialogues ou le jeu des acteurs. Les rares plans en marge de cette démarche – notamment les deux magnifiques plans qui clôturent le métrage – en paraissent certes renforcés, mais ils se font jour par là même sur fond d’un ensemble un peu trop vaporeux. Rosales fait malheureusement montre ici d’un trait partagé par de nombreux cinéastes contemporains, chez qui une conception du cinéma d’auteur s’associe, parfois sans réel discernement, à la prolongation excessive de la durée des plans, perçue comme un avatar esthétique du subtil. Or, dès lors que la lenteur cinématographique ne vise rien d’autre qu’elle-même, la force des images s’en voit nécessairement affectée. Rêve et silence reste ainsi un peu suspendu, en équilibre fragile entre le « trop peu » et le « presque rien » ; reste désormais à Rosales d’en nourrir un peu davantage l’étoffe.
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