Le 31 octobre 2016
- Dessinateur : Vallée, Sylvain
- Série : Il était une fois en France
- Editeur : Glénat
- Festival : Quai des Bulles 2016
C’est à l’occasion de la 36e édition du festival malouin Quai des Bulles qu’Avoir-ALire s’est entretenu avec Sylvain Vallée, auteur de l’affiche de cette édition. Souriant et disponible, le dessinateur de l’excellent Il était une fois en France a répondu à toutes nos questions, évoquant tour à tour son parcours, sa collaboration avec Fabien Nury, la condition des auteurs de bande dessinée ainsi que son prochain projet, qui s’annonce extrêmement intéressant.
Sylvain Vallée s’est entretenu avec Avoir-Alire à l’occasion de la sortie de l’intégrale d’Il était une fois en France.
Sylvain Vallée est le dessinateur d’Il était une fois en France, un récit qui retrace la vie d’un homme ambivalent, Joseph Joanovici, entrepreneur juif et pourtant collaborateur pendant la Deuxième Guerre mondiale, par arrivisme autant que par volonté de sauver sa famille. Les auteurs ont mis en lumière la fameuse "affaire Joanovici" qui a marqué la France de l’après-guerre, en s’inspirant librement de la vie de ce singulier personnage. Cette série en 7 tomes, scénarisée par Fabien Nury, est une réussite aussi bien pour les critiques que pour les libraires. Elle est désormais disponible en version intégrale chez Glénat. Cette sortie a été l’occasion pour Avoir-Alire de revenir sur le parcours créatif de Sylvain Vallée.
aVoir-aLire : Tu es diplômé de l’Institut Saint-Luc de Bruxelles. Cette formation a-elle été essentielle dans ton parcours, alors que des « écoles » de graphisme et de l’image se développent progressivement en France ?
Sylvain Vallée : Certains cours académiques ont été importants, comme les nus, les cours d’anatomie ou la sémiologie. Si faire cette école a été intéressant, ce n’est pas un élément déterminant de mon parcours. D’autres choses ont été beaucoup plus importantes pour moi, comme mes lectures de jeunesse (en particulier Astérix) ou bien les rencontres professionnelles que j’ai effectuées.
Je dessinais dans un fanzine au lycée avec 5-6 camarades, qui avaient les mêmes motivations que moi. Dans ce petit groupe, 4 sont devenus des professionnels du dessin. Ce genre d’aventures a davantage pesé que l’école dans mon parcours de dessinateur.
Le Festival Quai des Bulles a aussi été un moment essentiel dans ma carrière de dessinateur, car c’est ici que j’ai montré mon travail à des professionnels pour la première fois. C’est pour cela, et aussi parce que je suis malouin désormais, que j’étais très heureux de faire l’affiche de cette édition du festival.
Enfin, j’ai fait de belles rencontres, avec Fabien (Nury, scénariste avec Sylvain Vallée d’Il était une fois en France) notamment.
Affiche de la 36e édition de Quai des Bulles, réalisée par Sylvain Vallée.
La série à succès Il était une fois en France sort très bientôt en version intégrale. Peux-tu revenir sur la genèse de cette aventure avec Fabien Nury ?
J’avais très envie de travail sur cette période de l’histoire. Cette attirance me vient du cinéma.
Un jour, j’ai reçu un manuscrit sous forme de script écrit par Fabien (Nury), qui était destiné au cinéma. Sa forme ne le destinait pas à un album. Ce script racontait en 30 pages le destin de Joanovici. J’ai eu un vrai coup de cœur pour cette histoire. C’est après cette lecture que j’ai rencontré Fabien, avec qui j’ai rapidement eu des atomes crochus. Nous partageons les mêmes goûts cinématographiques.
Le parcours exceptionnel de Joanovici permet de traiter l’ensemble des méandres de la Deuxième Guerre mondiale. Ce personnage est une synthèse de cette période trouble de l’Occupation, et il permet de la traiter sous plusieurs angles. Nous voulions sortir des archétypes, fréquents dans le genre de la bande dessinée, et parler de cette époque de manière différente.
Tu as parlé de l’influence du cinéma dans ton œuvre, et notamment dans Il était une fois en France. Quels sont ceux qui t’ont le plus marqué ?
Ce sont essentiellement des films français, loin des archétypes, où un homme peut ou non changer son destin. Je pense en particulier à La traversée de Paris ou à Monsieur Klein.
Comment vous êtes-vous répartis le travail avec Fabien Nury ?
Fabien écrit un scénario, et j’effectue une première proposition de mise en scène quasiment crayonnée, dans laquelle les personnages ont leur jeu d’acteur. On échange ensuite à partir de cette proposition, c’est pour cela qu’il est important que mes premiers dessins soient suffisamment expressifs. Il y a eu quelques va-et-vient lors des deux premiers albums, ensuite les choses se sont faites d’elles-mêmes.
Couverture de l’intégrale en couleur d’Il était une fois en France, à paraître en novembre chez Glénat.
Sur quels types de documents vous êtes-vous appuyé pour Il était une fois en France ?
Avant la qualité de reconstitution historique, le plus important pour moi, c’est la crédibilité du propos. Pour ce faire, il faut générer une mise en scène qui rende le récit crédible aux yeux du lecteur.
Ainsi, si la documentation est génératrice d’idées, elle peut piéger le dessinateur en anéantissant sa liberté de création. Bien sûr, il faut prendre de la documentation, s’en imprégner, sentir et se nourrir de l’ambiance de l’époque et chercher ce dont on a besoin, mais il faut aussi savoir s’en libérer pour autonomiser la force de sa mise en scène. A mon avis, l’ambiance et la crédibilité sont plus importantes que la reconstitution exacte de la réalité. Il ne faut pas oublier que le dessin est un ressenti.
J’ai tout de même effectué des repérages, et je me suis rendu au Musée de la Police, ainsi qu’aux archives de la police judiciaire de Paris. Cependant, je pense que c’est bien la crédibilité dans le jeu des acteurs qui fait que l’on croit à la situation qui nous est décrite.
Joseph Joanovici est le personnage principal de la série Il était une fois en France. Dessin de Sylvain Vallée.
En mettant en valeur l’affaire Joanovici, outre le potentiel narratif de cette histoire, aviez-vous un objectif particulier ?
On a voulu écrire une histoire qui ne soit pas aseptisée. On ne voulait rien atténuer et ne pas faire de concessions. Le récit entretient sans cesse le questionnement du lecteur sur le personnage de Joanovici.
Le plus difficile pour nous a été de ne pas porter de jugement sur le personnage, et cette neutralité a été un combat de bout en bout. Je pense aussi que pour cette histoire, un dessin expressionniste est plus adapté qu’un dessin très réaliste. Dans le scénario comme dans le dessin, Joanovici apparaît tantôt comme très humain, tantôt comme un homme que l’on doit condamner. Le dessin doit porter ce va et vient entre les différentes facettes du personnages.
L’interrogation du lecteur tout au long du récit permet d’en faire un acteur à part entière de l’histoire. Nous ne voulions surtout pas porter de jugement définitif, et laisser les clés de l’interprétation au lecteur.
L’enquête des États généraux de la bande dessinée témoignent de la précarité du métier d’auteur de BD. Selon toi, comment peut-on améliorer la position de l’auteur dans un marché hyper-concurrentiel ?
Je pense que tout le monde est responsable de cette situation dramatique.
Pour ma part, je suis conscient de ma situation : je dispose d’une certaine tranquillité matérielle, tandis que d’autres ne parviennent pas à vivre de ce métier. Mais ma chance est une chance construite : nous sommes des artisans qui nous construisons sur le long terme. En revanche, je n’ai aucune tranquillité sur mon avenir, car je n’ai aucune assurance que mes prochaines bandes dessinées auront du succès.
Je trouve l’évolution du marché dramatique, et regrettable, et je pense qu’il y a des abus à la fois du côté des auteurs, et des éditeurs. C’est une bonne chose que le SNAC (Syndicat National des Auteurs de bande dessinée) existe, mais je ne me vois pas m’y rendre pour donner mon point de vue, car je ne pense pas qu’il soit transmissible de cette manière. Je suis tout à faire ouvert à l’accompagnement d’un jeune auteur qui, individuellement, aurait besoin de mon avis pour le conseiller, lui faire rencontrer les bonnes personnes, mais je conçois mon mode d’action de manière individuelle, pas collective.
Par ailleurs, je crois beaucoup à l’idée d’apprentissage : il faut être un apprenti avant d’être un artiste. C’est important qu’un jeune auteur soit pris sous l’aile d’un confrère plus expérimenté, qui lui fasse appréhender ce métier sous tous ses aspects, qui l’accompagne également durant les salons. J’estime qu’un auteur de bande dessinée doit aussi connaître et s’intéresser au travail du libraire ou du secrétaire d’édition, afin de cerner les mécanismes du marché du livre.
La vente d’originaux peut-il être une solution pour les auteurs ?
Je ne pense pas, car c’est aussi un moyen de profit pour d’autres. Après, tout dépend de la proposition des galeristes.
Par ailleurs, ce ne pas parce que le nombre de galeries se multiplie que tout le monde va pouvoir vendre ses planches. C’est bien pour l’image de la bande dessinée que des galeries s’ouvrent, mais il ne s’agit en aucun cas d’une solution miraculeuse qui sauvera la profession.
Pour finir, peux-tu nous dire quelques mots de votre prochain projet bande dessinée ?
Mon prochain album sera en collaboration avec Fabien Nury. Nous avons signé avec Dargaud pour une série en trois tomes, dont le premier sortira en mars 2017. L’histoire se déroulera au Katanga, une région au sud de la République Démocratique du Congo riche en ressources minières ayant fait sécession, et qui est en guerre depuis plus de 30 ans.
Cette bande dessinée adoptera différents points de vue à travers plusieurs protagonistes : un mercenaire, un frère et une sur qui cherchent à se sortir de leur situation d’esclave. Nous aborderons ainsi plusieurs thématiques : la guerre et la violence, le rôle des compagnies minières dans cette région, la décolonisation et la permanence du paternalisme des blancs, l’esclavage, etc.
Le récit est tantôt violent, tantôt iconoclaste, parfois drôle. J’espère qu’il secouera les lecteurs et les conduira à s’interroger sur ce qui peut les attirer dans la violence. C’est aussi l’opportunité pour moi de dessiner d’autres paysages, et d’avoir un dessin plus libéré.
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Vous pouvez suivre l’actualité de Sylvain Vallée sur son site internet régulièrement tenu à jour.
Si vous souhaitez en savoir davantage sur les États généraux de la bande dessinée, rendez-vous ici
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