Le 26 juillet 2021
C’est dans le site historique du prieuré (classé à l’UNESCO) de la Charité-sur-Loire que Philippe Le Moine, directeur de la Cité du Mot, nous reçoit pour évoquer ensemble l’ADN du festival, sa vision du voyage et plus particulièrement de la bourlingue.
Philippe Le Moine, l’année dernière vous mettiez les mots et le festival en boîte pour cause de confinement (en raison de l’annulation de l’édition 2020 une boîte/pochette surprise avait été proposée au public), en 2021 les mots reprennent enfin leur liberté pour bourlinguer dans les rues de La Charité-sur-Loire.
Bourlinguer, c’est le thème principal de cette édition ?
Oui, à chaque édition depuis 2019 il existe un thème qui rythme la manifestation. Le festival a une histoire. Il a commencé en 2005 et jusqu’en 2018, il s’appelait le Festival du Mot, puis en 2019, nous avons repris le flambeau et avons changé le nom, donc c’est devenu Aux quatre coins du mot ; et chaque année, il y a un ou deux mots qui sont des mots-clés nous permettant de construire la programmation avec des termes qui nous parlent.
L’année dernière nous avions choisi : Vrai ou faux, ce qui tombait assez bien parce qu’on ne savait pas trop si ce qui était en train de nous arriver (les premiers cas de Covid et l’ampleur de la crise sanitaire) était vrai ou faux.
En 2021 nous consacrons le festival au verbe bourlinguer, car il y a un an lorsqu’on a choisi la thématique on était dans un tel état d’enfermement et de privation, d’indisponibilité, que bourlinguer s’est imposé comme un mot qui symbolisait cette possibilité de repartir et cette envie d’être disponible, d’être à l’écoute, d’être sur les routes.
Alors, pourquoi ce mot bourlinguer ? On vous a entendu évoquer ce week-end Blaise Cendrars comme point de départ de cette troisième édition.
Pour nous, il y avait cette envie de faire un festival qui parle de la possibilité de partir. Et quand on parle de partir on pense à l’œuvre de Blaise Cendrars. J’étais en train de relire justement ses œuvres à ce moment-là pour un autre sujet, on m’avait demandé de recommander des lectures pendant le confinement, j’avais réfléchi et m’étais dit que j’avais envie de conseiller à des jeunes de lire Blaise Cendrars pendant le confinement car ça les ferait voyager. Et à cet instant je me suis dit que ce mot serait le point de départ de ce dont on a envie de parler et le mot qui encapsule tout ça, c’est bourlinguer.
C’est LE mot de Blaise Cendrars, titre d’un de ses livres (Bourlinguer, chez Folio), un terme qui l’utilisait beaucoup lui-même et qu’on lui apposait énormément également, et de se poser la question : quelle est sa définition ?
D’ailleurs pour vous quelle est la définition de bourlinguer ?
C’est vaste ! Je pense que pendant ces trois jours et demi nous sommes en train d’explorer la chose.
C’est un sujet qui parle à tout le monde. Il y a plutôt un attrait positif au départ, bourlinguer ça fait plutôt sourire, alors que c’est un mot comme on l’a entendu hier, notamment avec Claude Leroy de l’association Blaise Cendrars : bourlinguer c’est quand même la difficulté, la précarité, c’est dur !
Ce qui est intéressant dans un festival c’est de lancer un mot et autour de ce mot j’ai fait mon parcours, j’ai invité des gens à qui j’ai posé la même question que la vôtre et je leur ai aussi demandé leur point de vue, de me donner un morceau de ce que peut être pour eux bourlinguer.
Tous ces morceaux, ce sont 70 morceaux parce qu’il y a 70 propositions pendant le Festival, qui finissent par créer une sorte de définition, on a donc en quelque sorte un nuage de mots qui se forment au-dessus de la Charité. A terme ce nuage dévoilera peut-être le sens de bourlinguer.
Intéressons-nous à la ville de La Charité où le festival vient se nicher. C’est aussi l’occasion de flâner, de l’explorer et justement bourlinguer à ses quatre coins.
La ville est quelque chose de très important pour nous dans ce festival, il ne pourrait pas avoir lieu n’importe où. Il a toute sa place à La Charité-sur-Loire qui n’est pas une ville comme les autres, c’est une ville historique avec un site incroyable où l’on déambule aux quatre coins de la ville pour découvrir les mots.
Elle est non seulement le décor, mais aussi l’une des actrices principales de l’événement, et ce depuis les débuts ! On la rencontre en se baladant dans son cœur et son âme, l’avantage étant que ce festival et cette ville, ont une taille humaine et une proximité.
On peut s’installer dans des endroits quand même assez incroyables, comme les écoutes en bord de Loire, dans des transats, avec une vue imprenable sur la ville.
On a aussi des spectacles sur les hauteurs où là encore on découvre toute la Loire, le prieuré, les jardins que le public ne connait pas forcément...on a donc ce patrimoine merveilleux pour un festival qui offre la possibilité de butiner.
Quel est l’ancrage territorial du festival et menez-vous des actions culturelles tout au long de l’année ?
Oui effectivement car la Cité du mot ce n’est pas que le festival. Le festival se déroule sur quatre jours ça nous prend énormément de temps et d’énergie parce qu’il s’agit tout même, et de très loin, de notre plus grosse activité.
Habituellement fin juin, nous lançons notre saison d’été puisqu’on durant cette période nous avons trois mois de programmation culturelle, ça a commencé ce week-end avec des balades, des expositions et ça va continuer dans les prochains mois.
Il y a plein de festivals qui se posent en juillet et août. Cette période de l’année est un moment fort pour nous car le prieuré est un site patrimonial qui vit forcément de manière plus importante pendant l’été que pendant les mois d’hiver. Nous organisons ensuite un dernier temps fort au mois de novembre et qui s’appelle Grands Chemins.
Chaque année l’idée est de proposer une destination, ensuite chacun imagine ce qu’il veut par rapport à cette destination et offre une lecture, un spectacle, une rencontre, de la cuisine....
Nous sommes actifs à l’année avec huit permanents attachés à la Cité du mot. Nous sommes une petite équipe par rapport à l’ampleur de nos programmes, et nous sommes épaulés par des bénévoles qui apportent une aide indispensable.
Au-delà des temps forts, nous développons des activités tout au long de l’année, notamment dans le domaine éducatif. Nous accueillons chaque année environ 400 élèves du territoire. Nous travaillons aussi avec le centre social, le centre hospitalier (spécialisé en psychiatrie). Nous accueillons également tous les ans entre cinq et six artistes en résidence : des auteurs, des plasticiens, comme actuellement avec un photographe originaire d’Afghanistan et un plasticien grec, qui participent aussi au festival.
Qui est pour vous l’autrice ou l’auteur qui symbolise le mieux la bourlingue ?
La bourlingue bien sûr c’est Cendrars ! C’est, incompressible ! Après ce que j’ai voulu faire, c’est d’aller chercher au-delà. On parle souvent d’écrivains voyageurs, pas beaucoup d’écrivaines voyageuses. On a donc été beaucoup creuser ce côté-là pour présenter des femmes qui ont eu des destins extraordinaires au travers des voyages. On connait des femmes bourlingueuses célèbres, comme Isabelle Eberhardt, Alexandra David-Néel qui ont beaucoup écrit et bien écrit. Cette année je suis très content que l’on puisse faire écouter la voix de Hélène Gaudy qui est une auteure contemporaine voyageant d’une manière différente. Le but n’étant pas de voyager à travers le monde. Elle a écrit un très beau livre qui s’appelle Un monde sans rivage (Actes Sud), où elle parle d’une histoire de bourlingue, de la conquête des pôles à la fin du 19e siècle, de personnes qui ont cru partir en ballon et trouver le pôle Nord. On a vu aussi que bourlinguer ce n’est pas juste partir, raconter ses voyages. Il existe également une mythologie qu’il faut un peu casser, déconstruire.
Dans la littérature contemporaine, il existe aussi des auteurs qui s’imposent. On a la chance par exemple de recevoir Patrick Deville (Peste et choléra, Kampuchéa, Taba-Taba), on peut penser à Sylvain Tesson (Dans les forêts de Sibérie, La panthère des neiges), Olivier Rolin (Port Soudan, Un chasseur de lions)...il y a donc beaucoup d’écrivains qui sont sur cette veine là.
Et puis il y en un auteur qui est cher à nos cœurs et que nous avons pu accueillir hier, il s’agit de Sylvain Prudhomme qui, comme Hélène Gaudy finalement, sont dans le voyage sans se définir forcément comme des bourlingueurs. Le mouvement, le mouvement des choses, être sur les routes, avoir un œil curieux du monde, c’est au cœur de leur travail. Nous sommes très heureux qu’ils soient là et qu’ils symbolisent aussi cette bourlingue.
Enfin, pour terminer, Philippe Le Moine, à titre personnel êtes-vous un bourlingueur ?
Oui je pense....J’espère en tout cas ! Parce que pour moi bourlinguer c’est le fait de bouger en étant disponible à ce qui va nous arriver.
J’ai énormément bougé dans ma vie, changé de lieux, vécu à de nombreuses reprises à l’étranger (Serbie, de nombreuses années en Grande-Bretagne....). Tout cela fait partie de moi et l’idée de départ n’est pas forcément quelque chose qui me brise. Ainsi on se change, se transforme au fur et à mesure. Je suis curieux en fait : je dirais curieux et bienveillant !
Interview réalisée le 27 juin 2021 à La Charité-sur-Loire.
Philippe Le Moine est directeur de la Cité du mot, il assure également la direction et la programmation du festival Aux quatre coins du mot.
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