Le type au "Boléro"
Le 31 janvier 2006
La vie du compositeur entre sortie de bain et sortie de scène. Simplement élégant d’abord. Elégant et émouvant ensuite.
- Auteur : Jean Echenoz
- Editeur : EDITIONS DE MINUIT
- Genre : Roman & fiction, Littérature blanche
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Ah, quand même, il sait écrire, Echenoz. Il serait musicien qu’on lui donnerait du virtuose, spécialiste ès traversées d’octaves. "Au bas de la volée de huit marches étroites, freins serrés dans la rue en pente, stationne donc la 201 au volant de quoi Hélène frissonne en pianotant sur lui du bout de ses doigts laissés à nu par des mitaines en tricot bouton d’or." Elle pianote, Hélène, parce qu’elle attend Ravel, qu’Echenoz cueille au sortir du bain le jour de son départ pour l’Amérique, dix ans, pile, avant que l’auteur des concerti pour main gauche et main droite ne lâche son dernier soupir. Ce sont ces dix années que Ravel retrace. Ou parcourt, plutôt, celles-ci tenant sur 118 pages, c’est court 118 pages, surtout chez Minuit, surtout quand les marques de voiture, les descriptions de paquebot et de garde-robe en remplissent une poignée à elles seules. Mais c’est un roman, alors Echenoz, de Ravel, qu’il n’appelle d’ailleurs qu’une seule fois Maurice, Jean, il a le droit de nous en raconter ce que bon lui semble.
Ravel, Maurice (1875-1937) est au sommet de sa gloire, lequel dépasse de beaucoup sa petite taille de jockey. A cinquante-deux ans, écrit Echenoz, il est avec Stravinsky le musicien le plus célèbre au monde. Il dort mal, rigole avec son pote Zogheb, s’ennuie beaucoup - et l’ennui, avec Echenoz, c’est beau, ça tombe doucement comme une petite pluie fine -, compose aussi, évidemment, dont un "un petit truc en ut" auquel il ne croit guère et qui se nomme le Boléro. Voilà. Tout cela est plaisant, érudit, léger, drôle aussi. Et l’on pourrait coller au roman ces mots destinés à Ravel : "Distance élégante, simplicité courtoise, politesse glacée, pas forcément bavard, il est un homme sec mais chic, tiré à quatre épingles vingt-quatre heures sur vingt-quatre." Bref, Ravel est impeccable mais il lui manque un peu de vie. Jusqu’à ce que la mort se pointe.
Un accident entre deux taxis, Delahaye 201 d’un côté, Renault Celtaquatre de l’autre, a entrepris "de couper le client Ravel en deux". Le corps s’en est sorti mais pas la tête. Les mots commencent à fuir le compositeur, l’écriture le lâche, il ne reconnaît plus sa musique. Ravel se vide. Ne lui reste que le sentiment de n’avoir rien dit de ce qu’il avait à dire. Splendide. Les vingt dernières pages de Ravel sont d’une émotion valant - affaire de goût - dix Boléros.
Jean Echenoz, Ravel, Minuit, 2006, 123 pages, 12 €
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