Le 18 avril 2017
Klimov signe un film monstre, démesuré et porté par une interprétation hallucinée.
- Réalisateur : Elem Klimov
- Acteurs : Alexei Petrenko, Anatoli Romachine
- Genre : Historique
- Nationalité : Russe
- Distributeur : Les Films Cosmos
- Editeur vidéo : Potemkine
- Durée : 2h23mn
- Titre original : Agoniya
- Date de sortie : 2 octobre 1985
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– Année de production : 1974
– Ce film fait partie du coffret Potemkine consacré à Larissa Chepitko et Elem Klimov ; sortie le 25 avril 2017
Résumé : La Russie en 1916. Le Tsar Nicolas II, impuissant, attend le miracle qui doit sauver son Empire chaotique et sa Cour pervertie. Ce miracle a lieu, il porte le nom de Gregori Efimovitch Raspoutine, moine lubrique.
Notre avis : Longtemps retenu par la censure et invisible hors festivals, cet étonnant Raspoutine, l’agonie était sans doute trop complexe et ambigu pour satisfaire le pouvoir soviétique. Pourtant le spectateur contemporain sera sensible à l’aspect propagandiste, surtout dans l’exaltation finale, qui ne laisse nulle place au doute. En revanche, et c’est sans doute là que le bât devait blesser, on sent chez Klimov une fascination pour un univers décadent qu’il se complaît à montrer dans son faste et son opulence. À la manière d’un Visconti, il aligne les tableaux de bacchanales, mais ce sont souvent des fêtes tristes ou gâchées. Les décors, très soignés, accentuent le caractère figé et artificiel de ces moments fin-de-règne.
Le film est long, complexe dans ses articulations : pourtant, scindé en deux parties (l’apogée / la chute), parsemé de correspondances visibles (les corbeaux) ou souterraines (les reprises de dialogues, les échecs sexuels), il possède une ossature très travaillée ; néanmoins, et c’est sans doute ce qui donne une impression labyrinthique, il multiplie les personnages et les situations, égarant plus d’une fois son spectateur. Alternant de manière presque mécanique la fiction et les images d’archives, il joue d’un contrepoint constant entre la misère du peuple et l’étalage vain d’une richesse réservée à un petit groupe. Mais ce que Klimov enregistre surtout, c’est l’infini entrelacs de pouvoirs et d’influences, les conspirations, dans cet univers à la fois clinquant et feutré. Les images de miroirs ou de regards braqués, très fréquentes, disent assez l’atmosphère d’espionnage constant dans cette société corrompue.
- © Potemkine
Pour dresser le portrait de Raspoutine, le cinéaste ne fait pas dans la demi-mesure : exalté, halluciné, les yeux fous, qu’il braille des prières ou brise tables et chaises, c’est bien un fou que le film présente. Mais un fou complexe, capable de mendier un pardon aussi bien que de maltraiter des gens. C’est aussi un cynique, ce que montrent les séquences avec sa complice boiteuse. Interprété par un comédien habité, il règne sur la cour en véritable gourou (voir les femmes qui se battent pour lui, ou se disputent le verre dans lequel il a bu) mais c’est un être torturé, en proie à des visions en noir et blanc, et, in fine, c’est le seul lucide dans un monde tenté par l’hystérie ou le minéral. Que de personnages éructant, ou au contraire impassibles et froids ! La galerie est cruelle, toute de gros plans glacés. Le film suggère encore une forme d’impuissance : par deux fois Raspoutine tente une relation sexuelle, par deux fois elle échoue, soit à cause d’une vision, soit à cause d’une intervention. De même s’il se rue sur une femme qu’il désire, le mari s’interpose-t-il rapidement.
Klimov insiste beaucoup sur l’authenticité de son film : outre les archives, les personnages sont présentés à leur entrée avec une rigueur sans faille. Mais on se demande si cette volonté soulignée ne contient pas en elle-même sa caricature : ainsi des noms des députés, affiche illisible. De même, mais peut-être est-ce parce que ces moments sont trop connus, sacrifie-t-il des épisodes (la maladie de l’enfant est à peine évoquée, mais en une scène magnifique). Ce jeu permanent avec l’histoire, le réalisateur semble y tenir au point de filmer quand c’était possible sur les lieux réels, et tourne au procédé assez pesant. Mais plus généralement, Raspoutine, l’agonie n’est pas du côté de la litote. On est au contraire dans l’excès permanent, à la façon d’un Dostoïevski auquel on pense souvent tant les dialogues aussi bien que les actes sont le fait de véritables possédés.
On sort lessivé de ce film. Baroque, expressionniste (la chambre du meurtre semble sortie tout droit du Cabinet du docteur Caligari et réaliste, construit sur une tension permanente qu’exacerbe une utilisation judicieuse et parcimonieuse de la musique, il tient de l’épopée intimiste, véritable paradoxe, de l’œuvre-monstre et de la somme indépassable. Mais surtout, Klimov est un vrai cinéaste, qui crée des images puissantes : on n’oubliera pas la chasse aux corbeaux (réminiscence de la chasse au lapin renoirienne ?) ou l’espèce d’exorcisme qu’il subit, ou encore sa course hallucinée en noir et blanc dans une ville déserte. Ce sont là d’indiscutables trouées magnifiques dans ce film passionnant, mais pesant et inégal, qui échappe aux critères habituels.
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