S’en fout la mort
Le 1er septembre 2004
Dernier roman d’Ahmadou Kourouma, Quand on refuse on dit non tente de faire de la connaissance un remède à la barbarie.
- Auteur : Ahmadou Kourouma
- Editeur : Editions du Seuil
- Genre : Roman & fiction
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Les journaux n’en finissaient pas de noircir leurs colonnes de la barbarie des guerres tribales africaines. On commençait à peine à regarder en face le cauchemar d’un génocide annoncé qui faisait au Rwanda plus d’un million de morts et deux millions de réfugiés. Les milices congolaises faisaient régner la loi du plus fort, jetant sur les routes des destins brisés par le chaos. En Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo tentait de faire triompher une légitimité électorale dans un pays livré aux armes. Birahima entrait alors en littérature, l’enfant-soldat naïf et truculent, flanqué de ses quatre dictionnaires pour raconter la dérive d’un continent. Ahmadou Kourouma raflait cette année-là Renaudot et Goncourt des Lycéens, propulsant Allah n’est pas obligé au rang de texte de référence sur l’horreur d’une réalité sociale et politique.
Aujourd’hui, Birahima reprend du service. Promu garde du corps de la belle Fanta, il cajole sa kalach sous son boubou trop grand et fait route vers le nord à travers les balles. Sur la route, Fanta parle, raconte son pays et fait de la fuite un voyage pédagogique où l’histoire se frotte au regard aigü et affranchi de l’enfant-soldat.
La IIIe République, dans son élan éducatif, s’était fait une spécialité de ces récits pédagogiques, brandissant l’imparable justification des voyages formateurs de jeunesse. C’était la grande époque du Tour du monde de deux gosses ou du Tour de France par deux enfants, sans parler, plus loin de nous, du Merveilleux voyage de Nils Holgerson à travers la Suède de Selma Lagerlöf. On a le sentiment qu’Ahmadou Kourouma renoue ici avec ce genre dans une tentative désespérée d’apporter par la connaissance et l’apprentissage un remède à la barbarie. Fanta, omnisciente, tente de neutraliser l’appel des armes par l’analyse consciencieuse d’un passé qui se rejoue sans cesse, faisant de l’ignorance une force aveugle.
Kourouma nous a quittés il y a quelques mois, laissant son voyage largement inachevé. Trois chapitres sont intégralement rédigés, constituant probablement la moitié de Quand on refuse on dit non. Trop peu pour prendre la mesure de ce dernier texte, suffisamment pour regretter la force épique qui portait En attendant le vote des bêtes sauvages, et qui s’efface dans l’urgence de dire qui transparaît à chaque ligne de ce roman de fin de vie. Quand on refuse on dit non est un regard porté au-dessus d’un drame qui touche à la chair, celui d’un peuple livré au chaos, une tentative de mise en forme de cette tourmente, ne serait-ce que pour faire la paix avec soi-même.
Ahmadou Kourouma, Quand on refuse on dit non, Seuil, 2004, 160 pages, 14 €
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