Le 19 juin 2018
Football et littérature : Eric Naulleau aime les deux. Mais son écriture dit l’inverse.
- Auteur : Eric Naulleau
- Editeur : Stock
- Date de sortie : 16 juin 2018
- Plus d'informations : Le site officiel
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Résumé : Dans les textes qui composent ce volume, Eric Naulleau s’est intéressé aux moments où la Coupe du monde déborde, où un match bascule soudain de l’histoire dans la légende. Il s’en faut parfois d’une main, d’une tête, d’un centimètre devant ou derrière la ligne de but, d’un scandale instantané (l’agression de Battiston par Schumacher) ou à mèche lente (le match de la honte RFA-Autriche en 1982). Onze rencontres où la Coupe déborde aussi de la chronique sportive vers la rubrique culturelle. Les journalistes les ont commentées, les écrivains s’en saisissent ensuite pour les élever au statut d’objets littéraires. En plus de la trace laissée par ces instants d’éternité dans l’imaginaire collectif, l’auteur a voulu suivre celle qui en demeure chez quantité de romanciers et d’essayistes.
Notre avis : Coupe du monde oblige, les ouvrages sur le football figurent en tête de gondole. Ce n’est pas si grave, s’ils ne rabâchent pas les mêmes matchs et les mêmes gloses. D’ailleurs, pour tout dire, ce serait formidable d’envisager une pause dans les commentaires : parce que, s’il est un sport sur lequel les intéressés s’écharpent, pour se griser de leur propre griserie, pour chercher la confrontation musclée avec des contradicteurs, c’est bien le football. Il suffit d’écouter Pierre Ménès ou Daniel Riolo, ces drogués de la dispute sans fin. Il suffit de parcourir les réseaux sociaux où ça bashe à tout-va, les uns jetant Deschamps aux orties, les autres en appelant à la jurisprudence Jacquet. Le flux est continu, du match à son après, puisque le mot "commentaire" désigne, dans son acception sportive, la narration télévisuelle ou radiophonique d’un match, ainsi que son analyse, dans les bistrots ou sur les plateaux.
Ce préalable posé, Naulleau participe-t-il du spectacle ? S’accommode-t-il de la même excitation ? A vrai dire, non, mais à un passionné de foot la plume ou le clavier garantissent le lieu d’une solitude, qui lui évite de s’exciter sur un autre. En outre, il serait malséant qu’un amateur auto-proclamé de livres perde son sang-froid comme le plus impulsif des consultants.
Naulleau pose donc la balle, rappelle que littérature et football ont toujours fait bon ménage, en profite pour renvoyer le réactionnaire Michéa à ses remarques condescendantes sur le sport. Le reste de l’ouvrage organise quelques allers-retours entre des matchs de coupe du monde emblématiques et des extraits d’oeuvres littéraires, qui entretiennent un rapport plus ou moins lointains avec l’événement sportif.
Et c’est là où le bât blesse.
Le problème n’est pas de convoquer Jean-Philippe Toussaint, qui rédigea en effet un beau texte sur Zidane ou de citer Günter Grass, dont le regard sur la finale Hongrie-Allemagne de 54, intéresse le sujet du livre. Le problème est un péché mignon de celui qui se pose d’abord en amateur de culture, avant de considérer que le football en constitue une des formes. Le problème, c’est d’orchestrer, jusqu’à l’élongation, le grand écart des genres et des moments, qui translate Platini et les siens à l’époque d’Homère, transmue le capitaine des Bleus en héros d’Ithaque, dans une folle soirée sévillane. Depuis 36 ans, en dépit des succès de 98 ou 2000, France-RFA 82 sécrète son poison nostalgique. C’est une machine à discours emphatiques et crépusculaires qui fait clignoter le point Godwin du ridicule : la tragédie grecque.
En fait, nous étions trop stupides pour l’avoir compris : les joueurs de cette mythique demi-finale n’ont pas joué un match de football, mais une pièce de théâtre. Ramener de force le sport sur le terrain de la littérature, c’est véritablement montrer la prévalence de l’un sur l’autre. C’est aussi acter, par le commentaire, qu’on est de ces gens qui savent l’évoquer d’une manière toute rhétorique. Sans relever des traits d’écriture assez outranciers, qui empruntent parfois à Michel Audiard (on sait que Naulleau en est fan), il suffit de mentionner les titres des chapitres où l’hyperbole grandiloquente -"Mort dans l’après-minuit" pour la demi-finale d’Espagne 82- côtoie le détournement de slogans littéraires -"La lettre du non-voyant", à propos du drame de Knysna-, la syllepse de sens -"du football en général"- lorsqu’il s’agit d’évoquer le mondial 78, organisé dans la junte militaire du dictateur Videla, ou le mot-valise "hontologie", qui désavoue pour la postérité le non-jeu des Autrichiens et des Allemands, soucieux de passer le premier tour du Mondial 82.
Chez Naulleau, l’écrivain supplante le sportif, fait assaut de procédés pour polir le football en objet littéraire, comme s’il fallait que ce divertissement d’ilotes acquière une nécessaire légitimité.
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