Le 17 octobre 2021
Une bonne idée qui ne fait pas un bon roman. Visiblement très inspirée par Margaret Atwood, Christina Dalcher ne parvient pas à rendre cette dystopie crédible. Les qualités de l’intrigue peinent à relever l’intérêt de ce livre, qui manque son rôle d’alerte dans nos sociétés contemporaines.
- Auteur : Christina Dalcher
- Editeur : Robert Laffont
- Genre : Dystopie, Roman
- Nationalité : Américaine
- Traducteur : Michael Belano
- Titre original : Master Class
- Date de sortie : 7 octobre 2021
- Plus d'informations : Site de l’éditeur
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Résumé : Dans une société où les tests de QI déterminent la position sociale, Elena Fairchild voit sa vie tomber en morceaux. Son mariage est réduit à un tas de miettes, sa fille est envoyée en internat dans un Etat lointain et surtout, le système qu’elle a toujours défendu montre ses dérives.
Critique : Tous les mois, les enfants sont testés avant d’évaluer le quotient Q, autrement dit, leur niveau d’intelligence et de connaissance. Leurs résultats déterminent leur école, leur avenir et même leur priorité à la cafétéria. Elisa Fairchild, enseignante dans une école d’élite, se met à critiquer et à remettre en cause le système le jour où sa fille, Freddie, échoue à un test. Après de multiples crises d’angoisse de sa benjamine, elle comprend que la pression exercée par ce test permanent ne rend pas la société meilleure. Pire, en découvrant un internat fédéral destiné aux enfants qui travailleront dans les champs, elle comprend que l’issue d’un tel système ne conduit qu’à l’eugénisme et donc la négation de l’humanité.
Une vision trop manichéenne ? C’est bien le reproche majeur que l’on peut faire à ce roman. Le point de vue adopté, celui d’Elisa, se veut tout de suite biaisé ; dès les premières lignes, on comprend qu’elle se rebelle et même qu’elle s’en repent. Dès lors, la critique du système, certes totalitaire, devient absolument répugnante. Qui se laisserait séduire par une société de la dictature de la connaissance ? Éveiller les esprits rapproche davantage de la démocratie que du totalitarisme…
Les clichés sont édifiants, reflets sans complaisance d’une société américaine sans nuances : l’intello s’oppose à la pompom girl, les sportifs aux « sachants » et, bien évidemment, le travail manuel ou agricole est présenté comme une totale absence de réussite dans la vie. L’autrice ne véhicule-t-elle pas les clichés qu’elle prétend dénoncer ? La romancière, docteure en linguistique, semble présenter un point de vue totalement dépassé, qui étouffe le cri que l’on pourrait attendre d’un tel livre. En effet, à l’heure où les inégalités se creusent, notamment dans la société nord-américaine, où « le bon sens » populiste est au coude-à-coude avec l’esprit critique, doit-on réellement présenter les « élites » comme dangereuses ?
La véritable démarche de ce roman se trouve dans la dédicace, adressée à « Carrie Elizabeth Buck et aux enfants qu’elle et tant d’autres se sont vus refuser ». Christina Dalcher cherche à alerter sur la résurgence du mouvement eugéniste américain. Il est peu connu dans l’Histoire des Etats-Unis que l’eugénisme y fut pratiqué avant l’idéologie nazie. Il en fut même une source d’inspiration pour toute l’Europe, dès la fin du dix-neuvième siècle. Cette méthode consistait à sélectionner les individus en fonction de leurs capacités physiques ou intellectuelles, afin d’améliorer à terme la « race humaine ». Ceux que l’on jugeait « défaillants » étaient alors stérilisés ou euthanasiés. Carrie Buck a subi cette horreur, après un célèbre jugement de la Cour Suprême des Etats-Unis qui l’ordonnait, au nom de « sa déficience mentale ». Sur fond de racisme et de mépris social, cette décision rencontrait alors massivement l’adhésion dans l’opinion publique.
Cette part sombre de l’Histoire américaine ne doit pas être oubliée et c’est le dessein que poursuit ce roman. Mais les personnages peinent à recevoir la sympathie du lecteur. Elisa est sans cesse présentée comme une victime alors qu’elle a cru au système. Elle ne réagit que lorsque sa fille est personnellement impliquée. Son absence d’empathie, avant ces événements personnels, questionne le fondement de ce combat : faut-il être soi-même victime pour prendre part à une cause ? Ce débat agite actuellement les USA. De même, Malcom, son mari, ne semble avoir aucune qualité : il est possessif, froid, calculateur et maltraitant. Les autres hommes qu’elle va rencontrer ne sortent pas du lot : soit ils la manipulent, soit ils lui font du mal. Cette vision essentialiste dessert le propos qui vise à donner une place à toute la diversité de l’espèce humaine.
La lecture de ce roman permet de mettre au jour une menace de dérive qui pèse, avec la montée des extrêmes et des tentations totalitaires. La fiction aurait cependant mérité davantage de profondeur, d’ambivalence et d’incarnation. On peine à y croire et donc à se préparer à la vigilance que le récit appelle de ses vœux.
416 pages
22€
Epub 14,99€
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