Lost in Graceland
Le 1er septembre 2024
Sofia Coppola, reine incontestée du female gaze, raconte la grande Histoire par la prisme du féminin sacré. Elle réussit à mythifier la figure de Priscilla Presley et l’ériger en icône intemporelle. On touche ici au sublime.
- Réalisateur : Sofia Coppola
- Acteurs : Cailee Spaeny, Jacob Elordi, Tim Post , Dagmara Dominczyk, Dan Beirne
- Genre : Drame, Biopic
- Nationalité : Américain
- Distributeur : ARP Sélection
- Durée : 1h53mn
- Date télé : 2 novembre 2024 22:42
- Chaîne : Canal+ Cinéma
- Date de sortie : 3 janvier 2024
- Festival : Festival de Venise 2023
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Résumé : Quand Priscilla rencontre Elvis, elle est collégienne. Lui, à vingt-quatre ans, est déjà une star mondiale. De leur idylle secrète à leur mariage iconique, Sofia Coppola dresse le portrait de Priscilla, une adolescente effacée qui lentement se réveillera de son conte de fées pour prendre sa vie en main.
Critique : Sofia Coppola, reine incontestée du female gaze, s’est toujours attachée à filmer des héroïnes féminines en prise avec l’autorité et le dogme social, à l’écart des convenances, s’évertuant à réinventer un monde à elles où elle pourraient s’épanouir. Que ce soit avec sa Marie Antoinette pop and rock’n’roll, les sœurs Lisbon de Virgin Suicides ou les filles du pensionnat de Miss Martha dans Les Proies, toutes veulent reprendre le contrôle de leur vie, pleine de désir et de fureur, et se détacher d’une certaine forme d’aliénation. Sofia Coppola a choisi de raconter la grande histoire, ici celle d’Elvis Presley, par le prisme du féminin sacré, cette puissance originelle des femmes, ce désir inextinguible et immuable de se réapproprier leur sensibilité, leur intériorité. C’est le projet de ce flamboyant long métrage qu’est Priscilla : révéler au grand jour l’envers du conte de fées du couple Presley et constituer un récit alternatif où Priscilla Presley, longtemps invisibilisée au profit de son célébrissime époux, prenait soudain vie sous nos yeux.
- © 2023 A24. Tous droits réservés.
L’esthétique du film, baignée par la lumière magique du directeur de la photographie Philippe Le Sourd, collaborateur récurrent de Coppola, convoque l’imagerie du conte de fées. C’est par ce prisme que Sofia Coppola entreprend de raconter le passage à l’âge adulte de cette femme enfant rêveuse égarée dans un monde insensé. Avant tout, Priscilla tombe amoureuse d’une image, celle d’Elvis, à travers des magazines, des articles de presse, des vinyles ; elle a une vision complètement idéalisée de cette star sans âge ni visage. La question de l’image, de la mise en scène de soi, et de l’autre : Sofia Coppola va travailler cette idée comme la matrice émotionnelle de sa Priscilla, qui au cours du métrage se métamorphose au gré des coiffures et envies de son mari, avant de pouvoir enfin trouver son identité. Dès son arrivée à Graceland, le manoir post-colonial d’Elvis, que l’on pourrait volontiers comparer à la prison dorée du Versailles de Marie-Antoinette, il y a cette même atmosphère opulente, chaotique et vibrante, et ce même vertige du spleen, évoquant l’engluement, l’absorption. Il y a dans Graceland un caractère mortifère assez nouveau dans la filmographie de Sofia Coppola. Là où le foyer, aussi rigide soit-il, constituait encore une forme de cocon maternel pour son héroïne principale, Priscilla, au contraire, évolue dans un mausolée hantée par la solitude et la frustration, une sorte de vitrine du foyer idéal, un simulacre entièrement cannibalisé par Elvis, un homme vivant dans le spectre de sa mère défunte, vraisemblablement impuissant, fuyant la maternité, se muant peu à peu en gourou. Plusieurs séquences formelles montrent comment le male gaze s’insinue dans le couple et compartimente chaque aspect de la vie de Priscilla. Citons celle des polaroids, où Priscilla se plie aux fantasmes érotico-sexuels d’Elvis, ou bien encore celle où Priscilla se met en scène dans un défilé de mode privée, dédiée à Elvis et sa petite cour, analogie à peine voilée de l’objectification de la Femme. Priscilla se sait condamnée à n’être qu’une image figée dans le temps.
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Priscilla démontre une véritable évolution dans la carrière de Sofia Coppola, dans la représentation de la fragilité du féminin mais aussi dans sa mise en scène, moins aérienne, davantage méticuleuse, plus proche des corps. On pourrait même aller plus loin et établir un parallèle cinématographique entre Priscilla et son chef-d’œuvre de toujours, Marie-Antoinette, tant les deux héroïnes, qui pourraient être sœurs de cœur, du propre aveu de la cinéaste, se répondent l’une à l’autre dans un jeu de miroir inversé assez saisissant. On pourrait compter volontiers les nombreux plans de Priscilla faisant explicitement référence à Marie Antoinette : le plan-séquence en couloir, le motif de la foule traînant avec elle murmures et ragots autour de la protagoniste, le plan baignoire, le moment où elle découvre les pièces de sa nouvelle maison avec une attention toute particulière accordée aux détails, ou encore le lent travelling arrière du visage de l’héroïne encapsulée dans la fenêtre de son grand château, métaphore d’un ordre social trop grand pour elle. C’est aussi le récit d’une adolescente vierge perdue dans l’indolence de ses décors vides et désincarnés avec un époux, que ce soit Louis XVI ou Elvis Presley, incapable de consommer le mariage. On perçoit dès lors une vraie continuité spirituelle, à ceci près que Marie Antoinette, une princesse dissipée qui voulait fuir sa cage dorée et tuer son quotidien éthéré, choisira, a l’orée de la Révolution, de rester auprès de son roi et mourir en martyr. C’est tout le contraire dans Priscilla, qui suit la trajectoire d’une jeune adolescente adulant le King et souhaitant ardemment demeurer avec lui dans le plus parfait des foyers, avant d’ouvrir les yeux sur la nature prédatrice de son mari et partir, après une dernière confrontation avec Elvis, dans une chambre rouge sang évoquant son cauchemar mental, la hantise d’un homme qu’elle n’a finalement qu’entrevu durant tant d’années.
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Marie Antoinette n’aura pas su grandir à temps. Priscilla, au contraire, a encore tout un monde à découvrir. La science du dernier plan est également de la partie. La où Marie Antoinette finissait sur un plan fixe de la chambre royale dépecée et saccagée par les révolutionnaires, signifiant définitivement la fin d’un coming of age avorté, Priscilla s’achève sur un plan en mouvement, dans une voiture, avec le visage angélique de Cailee Spaeny, irradiant la pellicule, et en arrière-plan le paysage défilant, comme autant de photogrammes d’une vie passée, et d’un avenir rayonnant. La démarche de Sofia Coppola est en soit un tour de force admirable : mythifier la figure féminine, ici Priscilla Presley, et l’ériger en icône intemporelle. On touche ici au sublime.
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