Bonne bouteille à la mer
Le 3 mai 2005
Un éloge des courants porté par une plume érudite et joliment à la dérive.
- Auteur : Erik Orsenna
- Collection : Cadre rouge
- Editeur : Editions du Seuil
- Genre : Roman & fiction
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Dans la famille d’Erik Orsenna venaient, juste après les prières à Dieu, celles destinées au Gulf Stream. Un courant remercié pour la chaleur de son eau et la tiédeur de l’air sur nos terres, qui a inspiré à l’écrivain de marine cette "promenade" sans point de départ ni d’arrivée. Le Gulf Stream en a pourtant : il commence dans le Golfe du Mexique, passe entre Cuba et la pointe de Floride, pousse au nord, puis au nord-ouest, passe le Grand Banc de Terre-Neuve pour finir sa course sur la dorsale médio-atlantique. Ses eaux ne meurent pas pour autant, et une partie d’entre elles descend réchauffer l’Europe avant de continuer vers le sud, traverser à nouveau l’Atlantique et, en passant sous les Antilles, repartir pour un nouveau tour.
Le Gulf Stream n’est donc qu’un "morceau de cercle". Mais quel morceau ! Dans le détroit de Floride, son débit représente vingt-cinq fois celui de tous les fleuves du monde. Le Gulf Stream s’apparente d’ailleurs à un fleuve sans rive dont la largeur peut atteindre... cent kilomètres. Parti pêcher ses renseignements à la source, Erik Orsenna dessine, en passeur savant, le portrait d’un courant en évitant tout jargon. Annonçant d’emblée que la ligne droite n’a "plus sa confiance", il laisse dériver sa plume, le voyage n’étant jamais "celui qu’on attend".
Cet éloge des courants nous entraîne alors dans des eaux surprenantes. On suit des anguilles qui doivent au Gulf Stream de se faire attraper par les filets français mais aussi, si elles y échappent, de pouvoir se reproduire, revigorées, dans la mer des Sargasses. On retrouve le capitaine Nemo, que Jules Verne a envoyé mourir dans les fracas du maelström provoqué par la dérive nord-atlantique du Gulf Stream. On croise George Orwell, retiré en Ecosse et épargné par le terrible Corryvreckan, un courant féru de littérature sans doute qui laissa l’écrivain terminer 1984. On s’émerveille des bouteilles jetées à la mer par Albert Ier de Monaco, de l’érudition de Benjamin Franklin, de la violence de l’océan. On rafraîchit nos connaissances sur le climat qui, lui, ne se rafraîchit pas et on donne raison à Alexandre von Humboldt qui voyait chez l’océanographe "une disposition de l’âme à contempler dans leurs liaisons mutuelles un grand nombre d’objets à la fois".
Lorsque s’achève cette promenade, un regret pointe pourtant : celui d’une dérive un peu trop maîtrisée à laquelle on aurait préféré, même par instants, de violents tourbillons qui nous auraient jeté à quai du sel plein les dents.
Erik Orsenna, Portrait du Gulf Stream (Eloge des courants), Seuil, coll. "Cadre rouge", 2005, 252 pages, 18 €
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