Florida - La chronique BD

Comment s’intéresser à la cartographie du XVIe siècle ? Cette question, Jean Dytar ne se l’est probablement jamais posé. ¨Pour le comprendre, il suffit de poser les yeux sur son œuvre, ou simplement feuilleter le catalogue des dernières pages qui montrent toute son admiration pour le travail d’orfèvre que certains dessinateurs de l’époque pouvaient accomplir. Florida est un hommage, une recherche historique sur les projets de plusieurs chefs protestants de l’époque, dont certains finiront hélas mal lors de la Saint-Barthélémy, mais aussi un récit réaliste d’une famille, d’un homme et de sa femme Éléonore, narratrice et par ailleurs véritable héroïne de l’album. Ce couple est passionné de science et de voyage, mais la réalité a un carcan peu propice aux meilleurs des projets, et des besoins impérieux qui empêchent une liberté totale. Jonglant avec les années, renvoyant à des jeunesses perdues et des voyages empêchés, le scénario tisse une trame tranquille, sans soubresauts mais avec des rencontres et des temps longs, comme la vie en réserve souvent. Pas de duels, pas de massacres qui pourraient rappeler Agrippa d’Aubigné, il faut y voir la modestie d’une œuvre subtile et habile.

© Delcourt

Le dessin peut, au premier abord, avoir un côté suranné, voire triste, auquel le lecteur ne mettra que peu de temps avant de s’habituer. En effet, il convient idéalement à exprimer le quotidien d’une famille non point modeste, mais bien de la classe moyenne, bourgeoise sans être riche, avec des ambitions mais aussi des impératifs. C’est là la vraie réussite de l’ouvrage, parler de l’inconnu de cette vie, hormis pour les historiens, et la retranscrire. Certains personnages sont des hommes ayant existé, d’autres viennent, chacun avec un caractère, mais toujours des traits exprimant au fond un accablement, qui encore une fois est un beau reflet de cette époque où la foi chancelle, où les espoirs vont de pair avec les déceptions, ces dernières étant accompagnées de violences, absentes toutefois de l’album.

© Delcourt

Parler de frontière entre le rêve et la réalité ne refléterait en rien Florida, qui est un album qui a pris en vérité la forme de ce qu’il décrit : une carte. Vérité aplatie, déformée, elle est un concept mensonger pourtant la plus à même de renvoyer à ce que pourrait être le monde. Là aussi, avec cette vie contractée, ces souvenirs à la fois flous et marquants de personnages que l’on peut imaginer bien vivants dans une Histoire tourmentée.