Le 10 juillet 2020
Ce documentaire, qui tente un rapprochement entre pop et utopie, est un ramassis de poncifs. Le propos ne s’extrait jamais du sentiment pour s’immerger dans la vraie analyse, à quelques rares exceptions.
- Réalisateurs : Hannes Rossacher - Karsten Gravert
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Allemand
- Date télé : 10 juillet 2020 22:30
- Chaîne : Arte
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Critique : Premier volet de ce documentaire sur le rapport entre pop et utopie. Les propos liminaires des intervenants laissent craindre pour la suite : "il faut oser croire au changement", "il ne faut jamais cesser de rêver", tandis que les images d’archives sont illustrées par "Revolution" des Beatles.
Les poncifs s’accumulent : "La musique invite au rêve et elle permet aussi de faire passer de grandes idées", "les artistes savent transformer les maux en mots" (on croirait du Jacques Salomé). Il est bien sûr question d’Imagine de John Lennon, tandis que l’ancien Fab Four animé traverse le ciel avec les ailes d’un ange. Au secours.
"Lorsqu’on ne sait plus comment faire, la mélodie d’Imagine se fait entendre" continue la voix off. "Même si j’vois partout des sardines/Alignées dans l’huile de moteur/Il me reste un couplet d’Imagine/Il m’emmène ailleurs", chantait Maxime Le Forestier
Pauvre John, dont la chanson est devenue un fourre-tout mondialisé : des confinés sur un balcon la jouent en pleine période de pandémie, le trompettiste Till Brönner parle d’un morceau qui a su "éveiller des rêves". Mais encore ? Une banque française qui vend son enseigne en exploitant le plus grand tube de Lennon communie dans la même célébration que le militant anticapitaliste. Par ailleurs, un opérateur téléphonique s’est volontiers servi de "Revolution" pour vendre sa marchandise.
De cette réception consensuelle, de ces récupérations successives, il ne sera jamais question : le propos se concentre plutôt sur les témoignages individuels, celui d’Anna Calvi, qui n’a rien à dire - "C’est très puissant et l’union fait la force", "Est-ce tout ce à quoi j’ai droit ? Je mérite plus que ça" (Jeff Bezos pourrait reprendre les deux phrases à son compte), celui de l’écologiste allemande Clauda Roth qui lui emboîte le pas dans les clichés, celui du rappeur Zebra Catz, pas plus inspiré ("la musique permet de donner du courage aux gens", "je crois que la révolution est nécessaire, sera toujours nécessaire"). Seules les remarques du journaliste Jens Balzer ont la consistance analytique qui sied à ce rapprochement difficile entre pop et utopie : son exégèse insiste sur le lien qui peut exister entre les chants de lutte et certains tubes pop engagés. Il souligne aussi très justement qu’à défaut de participer véritablement à la révolution, les Beatles l’ont mise en musique. Position somme toute commode. Patti Smith, enfin, remet la réalité sur ses pieds : ce ne sont pas les artistes qui initient les changements.
Ce chewing-gum sans saveur mixe les Stones, Beyoncé, les suffragettes, Debbie Harry, Nette Barzilai (la gagnante de l’Eurovision 2018), Martin Luther King, Aretha Franklin, la pop music, "We Shall Overcome", Nina Simone (le passage le plus intéressant) et le coronavirus. Globalement, le film est incapable de s’élever au-delà du sentiment de l’auditeur (colère, joie, espoir, fierté). Les images d’archives s’enchaînent, sans qu’on ait l’impression d’apprendre quoi que ce soit. Les slogans incantatoires, performatifs, brandis par les uns et les autres ne sont, pour reprendre l’expression de l’anthropologue Eric Chauvier, que "les mots sans les choses". Leur caractéristique première est d’être digérable par n’importe quel discours, pour devenir d’autres slogans qui circuleront en tant que marchandises : "j’ai le droit de dire à ceux qui se sentent perdus, qui ne savent pas comment ils vont y arriver, qu’ils vont y arriver" proclame Zabra Catz. Donald Trump, ennemi potentiel de tous les antiracistes, pourrait reprendre à son compte un énoncé aussi général. Ou Jair Bolsonaro. Ou Vladimir Poutine.
Ce que démontre ce documentaire, en tout cas, c’est qu’au-delà des belles paroles symboliques ou des chants d’Aretha Franklin à l’investiture de Barack Obama, les discriminés du monde moderne, les Noirs, les femmes, ont besoin que des artistes racontent leur quotidien ordinaire. Pourtant, les intervenants semblent s’autosatisfaire de quelques envolées lyriques - "il faut sentir le lien qui nous unit" psalmodie la chanteuse Peaches, complètement hors-sol, tandis que Debbie Harry note d’une manière peu fine qu’il faut "être lobotomisé pour ne pas être féministe quand on est une femme". Si la réalité était aussi simple que les rêves des people. Outre que le féminisme est aussi l’affaire des hommes, les concerne.
L’utopie de la pop est malheureusement trop souvent réduite à quelques formules : on regrette de ne pas entendre les voix de Dylan ou Springsteen, parmi ceux qui, au-delà des beaux discours, ont narré la réalité des exclus, pour ancrer la contestation dans des lieux réels, pas dans des mondes dématérialisés.
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