Temps mort
Le 2 juin 2012
"Un couteau sans lame auquel ne manque le manche" disait Lichtenberg, en parlant d’un non-canif dont Playoff est une sorte de déclinaison moderne : un film sur le basket sans basket. Et sans film.
- Réalisateur : Eran Riklis
- Acteurs : Amira Casar, Danny Huston, Max Riemelt
- Genre : Drame
- Nationalité : Israélien, Français, Allemand
- Durée : 1h47mn
- Titre original : Playoff
- Date de sortie : 4 juillet 2012
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"Un couteau sans lame auquel ne manque le manche" disait Lichtenberg, en parlant d’un non-canif dont Playoff est une sorte de déclinaison moderne : un film sur le basket sans basket. Et sans film.
L’argument : 1982. Entraîneur de basket israélien d’origine allemande, Max Stoller s’est imposé comme une véritable légende dans son pays.
Toujours en quête de nouveaux défis, il accepte de prendre en charge l’équipe nationale d’Allemagne de l’Ouest pour l’amener au championnat du monde de Los Angeles.
Or, Max doit non seulement entraîner des joueurs démotivés, qui n’ont pas tous envie d’être bousculés dans leurs habitudes, mais il lui faut aussi faire face aux attaques de la presse israélienne qui le considère comme un traître.
Ce qui ne l’empêche pas de poursuivre sa mission, coûte que coûte. Sans doute aussi parce qu’il est venu là pour autre chose : repartir sur les traces de son enfance brisée par la guerre, un jour de 1943.
Il rencontre alors une jeune femme d’origine turque qui habite dans l’appartement où il a lui-même vécu avec ses parents quarante ans plus tôt. Se retrouvant en elle, il se prend d’affection pour cette déracinée d’aujourd’hui et décide de l’aider…
Notre avis : Playoff est une note d’intention, une table des matières, une baudruche désespérante que la moindre inquisition perce à jour. Rien dans ce dégonflement programmatique ne nous évoque un film. Et il vaut encore mieux faire le tour de son cahier des charges plutôt que de se risquer à en mesurer l’impact. Tout d’abord, il y a cette éternelle volonté – stigmate du cinéma de Riklis – de chercher à saisir l’Histoire à travers l’histoire, faire baigner l’intime dans le traumatisme social, filmer la plaie pour évoquer l’infection. Une fois que le principe est établi, il suffit d’interchanger les personnages et leurs contextes. Ici c’est le coach Max Stoller qui joue le rôle du petit bout de la lorgnette, et l’Allemagne des années 80, emmurée à plus d’un titre, est en quelque sorte son parquet de jeu. Reste ensuite à dérouler le plan comme on fait une dissert : à travers Stoller, sa culpabilité, ses secrets et son refoulement, Riklis cherche à confronter l’intégralité de la RFA à sa mauvaise cicatrisation. Comment un pays endetté moralement (et malgré lui) auprès de l’humanité fait-il payer ses propres enfants ? Comment le souvenir de l’holocauste conditionne t-il la vie de sa génération X (incarné par le jeune capitaine de l’équipe, et son père littéralement mort de honte) ? Et surtout, comment vit-on en étant une terre brûlée ambulante ?
Le problème du didactisme, quand il est aussi transparent, c’est qu’il a évidemment tendance à contaminer l’œuvre qu’il touche, au point d’en annuler totalement la portée. Si Riklis développe ses points comme un collégien laborieux, et pose des jalons thématiques comme on laboure un champ, il ampute bel et bien son film de tout mystère. Dommage pour un script qui fait du secret son arme de prédilection. Ou de déréliction, dans ce cas précis. On comprend vite que la plupart des personnages sont tous des variations de Max Stoller, lui-même étant une allégorie du Berlin qu’il investit. Chacun, du jeune Thomas déjà évoqué jusqu’à celui de Deniz, émigrée turque mortifiée par l’abandon de son mari, est en quelque sorte une figure archétypale du survivant, déterminée à souffrir (attention, symbole : Stoller sectionne le filtre de ses clopes avant de s’encrasser les poumons). Seulement, ni les périples hasardeux de Danny Huston dans les quartiers de son enfance, ni les gros plans explicites sur son mutisme n’épaississent une mise en scène digne d’Envoyé spécial. Aussi, gentiment pris par la main, on s’enfonce dans le film comme dans une forêt noire. Mais la pâtisserie hein.
Il y a quand même une bonne vanne à porter au crédit de Playoff. En discutant avec le capitaine de son équipe, Stoller avance que les juifs sont historiquement mauvais en sport : « Il nous a fallu 40 ans pour aller d’Egypte en Israël, c’est à 3h de marche ». Chouette, mais autour de ça, c’est la mer morte. Parce que le cinéma qui pense tout haut n’a pas peur du vide. Il s’en tient à son idée, quitte à ne pas l’habiller. Cela dit, 1h47 d’exposé scolaire, c’est très long. Alors on tente vainement de s’accrocher aux tête à têtes entre Huston et Casar (toujours aussi invisible), avant de se rendre compte que Riklis a décidé de creuser leur relation délicate avec une pelle d’enfant. Une pelle impuissante qui n’achoppe à rien de tangible, rien d’impénétrable. Uniquement du sable gris, clarifié, tristement lisible. Il en va de même pour le basket, arrière plan d’anthologie qui devrait emporter l’oscar de la toile de fond, ne serait ce que pour récompenser sa constance et son impeccable immobilité scénaristique. Peut-être parce que le sport est trop vulgaire pour demeurer autre chose qu’une grille de lecture historique.
C’est dommage,une série de dunks ouest-allemands nous auraient peut-être sorti la tête d’une eau mille fois visitée, celle du proto-documentaire à thèse, ou du film conscient qui tire à blanc.
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