Chair est tendre
Le 2 février 2005
Richard Bausch croise deux destins de femmes à un siècle d’intervalle, pour mieux mettre leurs existences en parallèle. Deux vies qui laissent exploser le talent et l’imagination d’un écrivain aussi habile que fin virtuose.
- Auteur : Richard Bausch
- Editeur : Gallimard
- Genre : Roman & fiction
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Franchement, on se demande pourquoi la notoriété de Richard Bausch reste si confidentielle de ce côté de l’océan. Et, s’il fallait encore un argument susceptible de nous convaincre de tout son talent, nul doute que cette Petite visite aux cannibales en constituerait l’un des plus pertinents. Richard Bausch fait du roman un exercice tout en équilibre, croisant et décroisant chemins et destinées, frottant ses personnages les uns aux autres comme des silex, en attendant de voir briller l’étincelle, avant que le feu ne se propage à la forêt toute entière.
Il est ici question de deux histoires qui se jouent à un siècle d’intervalle. Celle de Mary Kingsley d’abord, exploratrice, écrivaine, auteure d’Une odyssée africaine, une adolescente qui prendra soin de ses parents avant de s’affirmer dans une Angleterre victorienne sclérosée. Une femme qui détone en son temps, avant-gardiste, indépendante, butée, déterminée. Et, près de cent ans après, c’est cette femme-là que Lily admire tant. Lily n’est qu’une étudiante américaine noyée parmi tant d’autres, dont les parents sont acteurs. Lily souhaite devenir dramaturge et écrire une pièce sur... Mary Kingsley. Quand elle tombe folle amoureuse de Tyler, elle est loin de se douter à quel point cette rencontre va bousculer sa vie. Totalement. Irrévocablement.
A priori, l’une aura à se battre, tandis que l’autre n’aura qu’à se laisser porter. Mais Richard Bausch, en excellent tacticien, fait se retourner les destinées. La plus ancienne s’écrit au présent, tandis que l’autre appartient déjà au passé. Le premier paradoxe unissant ces deux personnages, qui iront toutes les deux à contre-courant d’un avenir normalement écrit. Et c’est la recherche de vérité qui illuminera ou assombrira les destins, l’absence de mensonge et la suprême volonté de rester soi-même. La vie n’est pas une scène de théâtre, semble nous souffler Bausch à l’oreille. Un roman sur lequel plane constamment une atmosphère oppressante, malgré l’étendue des terres africaines et les gigantesques paysages américains. A couper le souffle. Et le cœur.
Richard Bausch, Petite visite aux cannibales (Hello to the cannibals, traduit de l’américain par Jamila Ouahmane Chauvin), Gallimard, coll. "Du Monde entier", 2004, 632 pages, 26 €
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