Période d’Essai : Kobo, futur CDI du rap

Copyright : Kobo

Notre avis : Tout en évitant la comparaison abusive, Kobo a d’une certaine manière pris une direction inverse de Damso pour commercialiser son premier album. Alors que Dems voulait à l’origine sortir Batterie Faible comme une mixtape, avant que le label ne le convainque de plutôt le proposer en (premier) album devant la solidité du projet, Kobo, lui, a étiqueté son premier disque comme un album, alors qu’il aurait été plus adéquat de le sortir en tant que mixtape. Période d’Essai, voilà un nom qui en dit long sur le caractère humble et lucide du rookie belge, protégé et avant tout ami de Damso. Dans le milieu du rap, difficile de percer, et Kobo ne se cache pas d’en être encore qu’à ses débuts. La marge de progression est encore bien grande. Qu’à cela ne tienne, pour son premier album, le Belge n’a pas fait les choses à moitié en proposant dix-sept morceaux, dont une importante partie avait déjà été dévoilée comme singles ou freestyles (Baltimore, Charbon, All Eyes on Me, La Vie de Rêve, Follow Me, Black et Nostalgie). A la générosité de proposer autant pour se présenter au public, s’ajoute la difficulté de faire tenir tous ces titres sur la même galette et surtout de les organiser. Période d’Essai souffre d’un défaut d’homogénéité, qui fragilise le statut d’album pour le projet. Sans être catastrophique non plus, l’enchaînement des pistes manque de justesse et de fluidité, quand bien même l’artiste cherche à jouer sur les contrastes pour montrer sa riche palette artistique. Des morceaux faits pour l’album (Une Vie d’Artiste, Nouveau Départ ou encore Nostalgie) côtoient d’autres morceaux aux allures de freestyle (Une Vie de Rêve ou encore Black), très qualitatifs mais légèrement hors sujet, dans le contexte de l’album.

Copyright : Félicity Ben Rejeb

Pourtant, un mois après sa sortie, on continue de revenir quotidiennement sur ce Période d’Essai, qui se hisse d’ores et déjà comme l’un des projets les plus saignés cette année. Pour n’importe quel album, ne pas proposer une structure solide aurait été un frein à son écoute, mais pas pour celui-ci, ce qui en dit bien long sur ses forces. Le défaut de cohésion s’efface progressivement, tandis que tout le reste se bonifie, déséquilibrant une balance au départ égalisée par, d’un côté, le poids de la déception et de l’autre le poids de la satisfaction. Si Période d’Essai mûrit aussi bien, c’est peut-être parce que le projet n’a pas proposé ce à quoi l’on s’attendait, demandant alors un travail d’adaptation et d’assimilation du travail de Kobo, pour ensuite prendre l’album pour ce qu’il est : une claque, qui met du temps à arriver, mais qui laisse une belle grosse marque. Une chose est certaine : Période d’Essai manque d’homogénéité au profit de la variété folle que renferment ces dix-sept titres. S’appuyant sur des prods issues d’une belle brochette de beatmakers (quinze en tout, tranquille), Kobo ne se repose jamais sur les très beaux lauriers dont il s’est paré, avec ses premiers sons sur YouTube. Si le rappeur avait sorti un projet dans la même veine que l’atmosphère de Baltimore et de Charbon (ce qui en soit est déjà une dualité), personne n’aurait bronché et tout le monde l’aurait applaudi. La prise de risques réside donc dans ce refus de s’enfermer, dès le début de carrière, et de ne pas attendre de trouver sa place dans le rap, pour présenter un album très mature.

Copyright : Félicity Ben Rejeb

Vingt-six ans pour sortir son premier projet devient une caractéristique très rare dans le monde du rap. Les rookies percent de plus en plus tôt, à tort ou à raison, mais dans le cas de Kobo son âge avancé s’accompagne d’un vécu très fourni et du recul nécessaire vis-à-vis de ce vécu. Lorsqu’il lâche un égotrip, sa modestie ne suinte peut-être pas forcément de sa musique, mais la globalité de l’album dessine la personnalité d’un homme qu’on imagine modeste, lucide et très perfectionniste. Même si on pourra lui reprocher une petite répétitivité avec des thématiques qui reviennent très fréquemment de la même manière (la moula en tête), Période d’Essai brasse énormément de sujets sans s’y perdre, grâce à un sens de l’efficacité lyricale très éloquent. Peu de jeux de mots, peu de rimes riches qui laissent sur le cul, mais un sens de la concision et une précision dans le choix de termes qui font mouche, autant textuellement que musicalement. Car la force première de ce Période d’Essai réside bien dans les mélodies sans aucune faute, alors que l’artiste se mouille clairement avec des morceaux comme Koboy, Désillusion, mais surtout Succès, étrangeté en équilibre sur le fil de la surenchère. Pour nous, Kobo est ce gars qui nous a permis de nous ouvrir à l’autotune, en nous faisant réaliser les possibilités qu’il offrait. Nous avions été convaincus par Présumé Sobre, La Vie de Rêve, ainsi que Baltimore, et cet album vient prolonger notre changement de mentalité. Même dans l’excès, Kobo pense sa musique avec justesse. Comme l’impression d’avoir écouté les morceaux d’un artiste, avec cinq ans de carrière derrière lui. Mais non, ici ce n’est que l’introduction.