Marionnette obstinée
Le 26 novembre 2015
Les marionettes siciliennes de l’opéra dei Pupi rallument des micro-foyers de résistance dans l’Europe de l’antipolitique triomphante.
- Réalisateur : Vincent Dieutre
- Genre : Documentaire, Expérimental, Politique
- Nationalité : Français
- Durée : 1h45mn
- Date de sortie : 2 décembre 2015
- Plus d'informations : http://www.lahuit.com/
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Les marionettes siciliennes de l’opéra dei Pupi rallument des micro-foyers de résistance dans l’Europe de l’antipolitique triomphante.
L’argument : Dans la remise d’un petit théâtre de Palerme, les marionnettes (Pupi) se lamentent sur leur sort alors qu’un réalisateur Français débarque en Sicile pour la première fois.
Même si Pasolini annonçait la Disparition des Lucioles et le triomphe du Château des Mensonges berlusconien, rencontres et séparations bouleversent le cinéaste-voyageur.
Son récit intime se place sous le signe d’Orlando, prince des pupi. Malgré son regard documentaire et lucide sur la Sicile d’aujourd’ ;hui, les clichés se rebellent : théâtralité des Pupi, Mafia, homosexualité refoulée et culte de la mort, engendrent paradoxalement des poches tenaces de résistance à l’Empire.
Peut-être à t-on raison de croire en La Survivance des Lucioles ?
Notre avis : Héritier du baroque, Vincent Dieutre qualifie lui-même de fantaisie politique ce troisième film d’Europe, après Leçons de ténèbres et Mon voyage d’hiver, qui refuse une fois de plus de dissocier l’intime du journal de voyage et la perception fébrile, allarmée, de l’état d’un monde où la catastrophe a déjà eu lieu.
Redécouvrant en Sicile une beauté que l’on croyait enfouie sous le devenir-Disneyland des rives méditerranéennes, il veut transmettre en cinéma cet enchantement retrouvé, en celèbrer la magie régénératrice (la vision du soir tombant sur les toits de Palerme qui rend à celui qui avait déjà baissé les bras l’envie de se battre encore).
Mais cette beauté Dieutre ne l’idéalise pas, il ne ferme pas les yeux sur la misère partout présente ni sur l’obscénité de l’Italie berlusconnienne faisant irruption sans cesse sur les écrans de télévision des chambres d’hôtel ; une Italie sans mémoire, partie intégrante du monde global, toute à la culture de la jouissance (de la consommation) immédiate, qu’incarne la jeunesse des beaux quartiers dans lesquels le film s’aventure un bref instant pour les quitter au plus vite.
Car la sicile qu’explore Dieutre est ce lieu où cohabitent l’aliénation hypermoderne et la mémoire, la persistance d’une tradition se renouvellant sans cesse ; un lieu de survivance, de résistance.
Rappelant, avec Georges Didi-Huberman, que le rêve marxiste nait de la défense d’une tradition menacée (le bois tombé de l’arbre appartient à tout le monde et le propriétaire de l’arbre ne peut empêcher le pauvre de le ramasser), Dieutre confie aux marionettes de l’opéra dei Pupi, libéré de l’immobilité muséale, le soin d’incarner cette tradition vivace aux prises avec le présent post apocalyptique.
- Orlando ferito - Vincent Dieutre © La Huit Production
Orlando et ses Paladins se battront donc avec Pierandrea Amato contre l’antipolitique triomphante et défendront une autre vision de l’Europe, opposée à cette Europe qui se barricade à Lampedusa (où le film s’arrête un moment, entre deux flux de réfugiés), en paraphrasant des textes de Pasolini, adaptés par Camille de Toledo et Giulio Minghini : La Rabbia (è mai possibile che Orlando ci abbia abbandonato ?) et surtout l’article dit des lucioles* paru le 1er février 1975 dans le Corriere della sera sous le titre Le vide du pouvoir en Italie.
Le film, suivant Didi-Huberman, l’auteur de Survivance des lucioles (Editions de Minuit, 2009) qui intervient dans un italien maîtrisé mais légèrement exotique (J’aime l’italien de GDH dit Dieutre dans son commentaire), choisit pourtant de contredire la vision prémonitoire désepérée de Pasolini et d’affirmer que, non, l’Histoire n’est pas finie, en prenant le parti d’un pessimisme organisé et en dressant un tableau sans illusions mais presque apaisé d’un monde qui a déjà surmonté le stade du désespoir et où une marionnette obstinée, Luciolino, fait entrevoir les petites lueurs, les micro-foyers de résistance annonciateurs d’une autre manière d’habiter le monde, d’une renaissance possible.
- Orlando ferito - Vincent Dieutre © La Huit Production
* Pasolini : J’ai vu avec mes sens le comportement imposé par le pouvoir de la consommation remodeler et déformer la conscience du peuple italien jusqu’à une irréversible dégradation, ce qui n’était pas arrivé pendant le fascisme fasciste. Le véritable fascisme est celui qui s’en prend aux âmes, aux gestes, aux corps du peuple.
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