Jaurès - La critique + le test DVD

Vincent Dieutre articule au plus près l’intime et le politique dans ce magnifique essai poétique.

L’argument : Elle est venue voir.
Je n’ai aucune photo de Simon à lui montrer, aucune trace que ces plans volés, pris des fenêtres de chez lui, du côté du métro Jaurès : le canal, les voitures, la vie de quartier et cette poignée de réfugiés afghans confinés sous la voûte Lafayette.
Alors, Elle visionne avec moi, Elle m’interroge, nous voyons défiler les saisons de cette dernière année de ma vie avec Simon, les derniers mois du combat harassant des réfugiés pour trouver une place ici, à Paris.
Bien sûr, tout est fini, campement et histoire d’amour, mais Elle et moi savons désormais que, l’air de rien, le monde entier en a été légèrement … transformé.

Notre avis : En visionnant avec son amie Eva Truffaut les images prises pendant plusieurs mois de la fenêtre de l’appartement d’un ex-amant et en confiant le récit intime d’une histoire d’amour revisitée et réinventée au quotidien à l’oreille attentive de celle qui est une véritable interlocutrice Vincent Dieutre pulvérise une fois encore toute notion d’exhibitionnisme et installe un dispositif qui lui permet d’articuler de manière extrêmement productive, en un entrelacs poétique et musical, l’intime et le politique, une exquise mélodie de Reynaldo Hahn (A Chloris, rebaptisée A Simon) et la réalité la plus crue, le romanesque Durassien et le documentaire, l’implication émotive immédiate et la distance de la réflexion.

Jaurès (Dieutre 2012)

Explorant inlassablement les multiples strates du large panorama qui s’offre à sa vue, observant, de loin, les réfugiés afghans campant sous le pont sans chercher à les approcher avec la caméra, filmant les allées et venues dans la rue ou sur les quais, le passage du métro aérien, de jour et surtout de nuit, les reflets de lumière sur l’eau noire du canal Saint-Martin, ou encore une colombe blanche sur le rebord de la fenêtre, sans jamais retourner l’objectif vers cet homme qu’il choisit de renommer Simon et cet appartement dont ne parviennent que des bruits de cuisine, des bribes de phrases indistinctes ou des notes de musique (l’air, infatigablement répété au piano), le cinéaste ne permet à aucun moment au spectateur de se complaire dans un quelconque voyeurisme mais l’amène à quitter sa position confortable pour entrer en résonance, en empathie avec ce qu’il voit et s’exposer lui aussi à cette beauté inattendue, non esthétisée, à cette circulation, aux flux sensibles de la ville tout autour, mais aussi à la violence incroyable d’un monde qui vient, en somme à participer de la réinvention, infime mais précieuse, des notions épuisées que sont l’amour et la politique tels que le vingtième siècle nous les a léguées. (Citations extraites de la Note du cinéaste et d’un entretien avec Emeric de Lastens)

Le DVD

Jaurès (Vincent Dieutre 2012) - Le DVD

Une indispensable édition DVD associe le film à un passionnant documentaire explorant l’oeuvre du cinéaste.

Les suppléments

Au travers d’extraits de films, de visites d’installations, d’entretiens, de lectures de textes par Françoise Lebrun, Vincent Dieutre, la chambre et le monde (2012, 1h28mn), le portrait en forme d’abécédaire réalisé par Fleur Albert pendant la préparation et le tournage à Palerme du dernier film de Dieutre, Orlando Ferito épouse la démarche du cinéaste en une passionnante exploration de cette oeuvre qui, comme le dit fort bien le synopsis, interroge des formes anciennes (la peinture du Caravage, le romantisme allemand, la langue du XVIIe siècle) à travers le prisme de l’intime et cherche dans la multiplicité des textures des images et des sons une syntaxe poétique qui conteste le régime de croyance du cinéma traditionnel.

Image

L’excellent report permet de saisir la beauté fragile de ces images tournées dans des conditions précaires.

Son

Intimité et rumeur du monde sont convoqués par une piste sonore d’une belle présence.