Le palais infini
Le 2 janvier 2013
Ronconi nous invite à nous perdre avec ravissement dans les dédales de l’univers héroïque, magique et ironique du poème épique de l’Arioste qu’il recrée en recourant avec bonheur à des parti-prix audacieux.
- Réalisateur : Luca Ronconi
- Acteurs : Michele Placido, Ottavia Piccolo, Massimo Foschi, Mariangela Melato, Ettore Manni, Peter Chatel, Hiram Keller, Luigi Diberti, Edmonda Aldini, Marilù Tolo, Spýros Fokás, Paolo Bonetti, Paola Gassman, Vittorio Sanipoli, Alessio Orano, Sergio Nicolai, Paolo Turco, Yorgo Voyagis
- Genre : Fantastique, Historique, Théâtre
- Nationalité : Italien
- Durée : 5 heures ( 5 x 60mn)
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– Lieux de tournage : Palazzo Farnese de Caprarola, Thermes de Caracalla, église Santa Maria in Cosmedin à Rome, Teatro Farnese et Palazzo della Pilotta à Parme, studios de Cinecittà.
– Première diffusion TV en Italie : du 16 février au 16 mars 1975
– Sorti en salles en version abrégée
Ronconi nous invite à nous perdre avec ravissement dans les dédales de l’univers héroïque, magique et ironique du poème épique de l’Arioste qu’il recrée en recourant avec bonheur à des parti-prix audacieux.
L’argument :Episode I : La guerrière Bradamante libère Ruggiero (Roger), enlevé par l’hippogriffe d’ Atlante et prisonnier des charmes de la magicienne Alcina.
Episode II : Angélique, poursuivie par Ferraù, Sacripante et Rinaldo (Renaud), puis sauvée par Bradamante, doit être sacrifiée au monstre marin d’Ebuda. Mais elle est libérée par Ruggiero.
Orlando (Roland) également à la recherche d’Angélique, rencontre Olimpia qui lui narre ses mésaventures.
Episode III : Orlando retrouve une nouvelle fois Olimpia et la libère du monstre marin qu’il tue.
Pendant le siège de Paris le féroce Rodomonte quitte l’armée des sarrasins pour partir à la recherche de son épouse Doralice, enlevée par Mandricardo.
Rinaldo tue en duel le jeune roi maure Dardinello. Le fidèle Medoro (Médor), cherchant la dépouille de son roi pour l’enterrer, est blessé. Angélique le soigne. Les jeunes gens s’éprennent immédiatement l’un de l’autre.
Episode IV : Orlando libère Isabella puis Zerbino, prisonniers d’une troupe de brigands assistés de la fourbe Gabrina ; folie D’Orlando lorsqu’il voit partout gravés les noms entrelacés d’Angélique et de Medoro ; duel de Rodomonte et Mandricardo ; nouvelle bataille entre chrétiens et Sarrasins.
Episode V : Bradamante provoque en duel Marfisa qu’elle croit aimée de Ruggiero ; le magicien Atlante révèle que Marfisa et Ruggiero sont frères et soeurs ; voyage d’Astolfo sur la lune où l’évangéliste Jean lui remet une fiole contenant la raison d’Orlando ; Orlando recouvre la raison ; duel entre les champions chrétiens (Orlando, Brandimarte et Rinaldo) et maures (Gradasso, Sobrino et Agramante) ; victoire du camp chrétien ; mort de Brandimarte et douleur de son épouse Fiordiligi ; noces de Ruggiero et Bradamante interrompues un moment par l’arrivée de Rodomonte, tué en duel par Ruggiero.
Notre avis : Publié entre 1516 (première version) et 1532 (version ultime en 46 chants et 38736 vers) l’Orlando Furioso de Ludovico Ariosto est un lointain descendant de la Chanson de Roland. Il fait suite à l’Orlando innamorato de Boiardo et réécrit dans une veine magico-ironique l’épopée carolingienne (associée à des éléments issus de la saga arthurienne) à l’usage de la cour renaissance des Este. C’est un classique de la littérature italienne et mondiale dont la trame foisonnante a fournit la matière à un nombre incommensurable de livrets d’opéra (de la Liberazione di Ruggiero dall’isola d’Alcina de Francesca Caccini aux deux Orlando de Vivaldi en passant par l’Alcina de Händel, pour n’en citer que quelques uns) et inspiré une multitude de peintres et illustrateurs.
- Edmonda Aldini (Bradamante) dans Orlando furioso (Ronconi 1972-75)
C’était pourtant une véritable gageure que d’en faire une adaptation théâtrale quasi intégrale qui en déroule simultanément les fils narratifs sans cesse interrompus puis repris chez l’Arioste tout en restant au plus près de la lettre du texte et en en respectant l’irrésistible allant poétique.
Le spectacle de Ronconi et Edoardo Sanguinetti, crée au Festival des Deux Mondes de Spolète le 4 juillet 1969, puis repris un peu partout en Italie et dans le monde (à Edimburg, Berlin, Belgrade, Amsterdam, New-York, sans oublier le trou des Halles à Paris) a fait date dans l’histoire de la mise en scène théâtrale.
Pour la version filmée produite par la RAI Ronconi a certes repris une partie de la distribution d’origine et conservé nombre de parti-pris expérimentés lors de la production scénique mais il a totalement repensé sa mise-en-scène. (Pour moi l’intérêt de faire du théâtre à la télévision dérive du fait que l’usage du média télévisé est anormal, n’est pas naturel. L’avantage d’utiliser un moyen anormal est de m’obliger à réinventer les lois.)
Il a notamment renoncé, par la force des choses, à précipiter le spectateur aux milieu de plusieurs actions parallèles et simultanées et à le contraindre sans cesse de choisir sur laquelle concentrer son attention. Mais en le remettant dans la position plus traditionnelle de l’enfant pris par la main, suspendu aux lèvres d’un conteur maîtrisant à merveille l’art de la digression, le metteur en scène a sans doute retrouvé, au final, le rythme narratif du poème.
Les personnages, quand ils ne reprennent pas les mots que l’Arioste a lui-même mis dans leur bouche, racontent ce qu’ils font à la première personne (là où le texte, par ailleurs respecté scrupuleusement, emploie la troisième). Cela crée de fascinants effets de mise à distance, l’action étant à la fois en train de se dérouler et éloignée par le récit.
- Mariangela Melato (Olimpia) dans Orlando furioso (Ronconi 1972-75)
- Ottavia Piccolo (Angelica) dans Orlando furioso (Ronconi 1972-75)
Cette mise à distance, qui est tout à fait dans l’esprit de l’Arioste parodiant avec une fausse naïveté enjouée les récits de chevalerie, est crée aussi par le jeu des acteurs, résolument anti-psychologique et que Ronconi ne cherche surtout pas à harmoniser, préférant jouer sur l’hétérogénéité et les contrastes. Chacun trouve ainsi sa propre stylisation, la plus immédiatement étonnante étant l’Olimpia extravagante de Mariangela Melato, à la déclamation opératique, volontairement outrée jusqu’au loufoque.
Il ne cherche pas davantage une continuité stylistique entre les différents registres du récit (guerrier, amoureux, fantastique) et ne craint pas les ruptures de ton.
Mais l’originalité la plus frappante réside sans doute dans la scénographie signée par le grand Pierluigi Pizzi. Partant de l’idée que le poème épique de l’Arioste était au départ un divertissement de cour, Ronconi a renoncé aux extérieurs pour mettre en place une espèce d’immense jeu de l’oie, recréant la totalité d’un monde étrange, propice aux rencontres imprévues et aux retournements de situation, dans plusieurs lieux semblant n’en faire qu’un seul, labyrinthique. Il déclarait avoir cherché un réalisme visionnaire, estimant par exemple qu’il est beaucoup plus intéressant de voir les salles d’un palais transformées en forêts, que la reconstruction vraisemblable d’une vraie forêt.
Les personnages, juchés sur des montures en bois ou en faux marbre tirées sur des rails, parcourent ainsi les enfilades de salles d’un vaste palais, obligés de baisser la tête à chaque fois qu’ils passent sous une porte ; s’élancent dans les airs sur un hippogriffe actionné par un bras mécanique (qu’on voit dans les séquences de génériques de fin révélant l’envers du décors) qui peut les mener jusqu’à une lune souriante trônant dans un vaste grenier ; luttent contre un monstre marin articulé, tout droit sorti d’un dessin de Léonard de Vinci, près d’une île rocheuse installée dans des caves démesurées ; ou posent, en de savantes compositions quattrocentesques dans une église byzantine.
- Orlando furioso (Ronconi 1972-75)
- Massimo Foschi (Orlando) dans Orlando furioso (Ronconi 1972-75)
Les citations picturales sont manifestes : batailles équestres à la Paolo Uccello ou Andrea Verrochio ou personnages de profil disposés dans le plan en perspective. La photo de Vittorio Storaro e Arturo Zavattini accentue cet aspect pictural et contribue à donner sa cohérence à cet univers magique. (Les téléspectateurs de 1975 n’ont d’ailleurs pas pu apprécier ce formidable travail sur la couleur, le film étant diffusé en noir et blanc. Quand à l’édition DVD de BUR, techniquement médiocre, elle ne lui rend que partiellement justice.)
Pour ne pas interrompre la coulée du poème, Ronconi filme le plus souvent en plan séquence, s’amusant parfois au jeu du tableau vivant, mais, plus souvent, organisant un véritable ballet de la caméra autour des personnages eux-mêmes en mouvement quasi perpétuel et recourant à des cadrages insolites (contre-plongées, étranges vues aériennes : qui regarde ?).
Ce refus des facilités du montage, comme celui des effets spéciaux autres que ceux, artisanaux, (à la Méliès ou à la Cocteau), réalisés en vrai devant la caméra donne à l’ensemble un sceau de réalisme documentaire qui en démultiplie l’impact et la magie, nous invitant à nous perdre avec ravissement dans les méandres, les plis et replis d’une oeuvre en fuite qui court au delà des limites naturellement imposées au temps et à l’espace (Ronconi dixit).
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