Démons et damnés
Le 14 février 2011
Cette suite de tableaux infernaux inspirés des illustrations de Gustave Doré est un jalon important dans l’histoire du cinéma. C’est aussi un spectacle visionnaire qui a gardé intact son pouvoir de fascination.
- Réalisateurs : Francesco Bertolini - Adolfo Padovan - Giuseppe de Liguoro
- Acteurs : Salvatore Papa, Arturo Pirovano, Giuseppe De Liguoro
- Genre : Fantastique, Film muet
- Nationalité : Italien
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– Durée : 1h10mn
– Sortie en Italie : 22 mars 1911
Cette suite de tableaux infernaux inspirés des illustrations de Gustave Doré est un jalon important dans l’histoire du cinéma. C’est aussi un spectacle visionnaire qui a gardé intact son pouvoir de fascination.
L’argument :Dans la Forêt Obscure Dante rencontre Virgile et entreprend avec lui la traversée des cercles de l’Enfer. Ils y rencontrent nombre de damnés célèbres avant de quitter ce monde souterrain et de retrouver la lueur des étoiles.
Notre avis : Entreprise dès 1909 par la Saffi-Comerio, qui allait devenir l’année suivante la Milano Films, cette superproduction de prestige, annoncée à grand renfort de publicité près d’un an avant sa sortie le 22 mars 1911, est considérée comme le premier long-métrage italien : cinq bobines et deux heures de projection d’après les affiches de l’époque.
Le choix d’adapter L’Enfer de Dante, monument de la littérature italienne et universelle, s’inscrit dans un mouvement général visant à faire sortir le cinéma du cadre de l’attraction foraine pour l’élever au rang des arts nobles.
Certes les cinquante quatre étapes du périple de Dante et de Virgile à travers les cercles de l’Enfer ont des allures de catalogue (on songe à Häxan de Christensen) et les trucages artisanaux sont encore proches de ceux de Méliès, mais une volonté de réalisme se manifeste par le jeu retenu des acteurs et le tournage de certaines scènes dans l’austère décor naturel du Massif de la Grigna, dans les Alpes lombardes.
Les tableaux infernaux s’inspirent ouvertement des gravures de Gustave Doré et leur force de suggestion continue de surprendre. Certains, recourant à des machineries théâtrales, témoignent d’une maladresse qui n’est pas dénuée de poésie (Paolo e Francesca suspendus dans les airs et visiblement gênés dans leurs mouvements), d’autres sont tout bonnement stupéfiants, tant par le soin minutieux avec lequel ils ont été élaborés (jeux de caches, expositions multiples, surimpressions) que par un admirable sens de la composition.
Le gros plan de la tête à trois faces de Lucifer dévorant un damné est justement célèbre, mais bien d’autres visions marquent durablement l’imagination du spectateur : Cerbère à trois têtes, luxurieux emportés par l’ouragan, hordes de démons chauves-souris, Bertrand de Borne exhibant sa tête coupée au bout de son bras tendu.
D’impressionnants plans d’ensemble jouent sur les différences d’échelle entre les personnages (Minos ou Neptune géants) et recourent parfois à une abondante figuration dans des décors monumentaux. Plus faibles sont les Flashs backs illustrant les récits de Francesca da Rimini ou du Comte Ugolino, avec leurs acteurs déclamant dans des décors de carton pâte.
Le tournage du film s’étendit sur des mois et des mois et la société Helios de Velletri en profita pour lancer sur le marché, en janvier 1911, une bande concurrente d’une durée de 15 minutes, réalisée par Giuseppe Berardi et Arturo Busnengo. Elle a été retrouvée récemment et on peut désormais comparer les deux versions. La proximité de certains plans est frappante. Le film de la Helios fait souvent preuve d’inventivité et ses trucages rudimentaires ont un indéniable charme bricolé, mais la modicité du budget et la rapidité d’exécution, pour ne pas dire la précipitation, donnent à l’ensemble un côté amateur renforcé par une impression d’approximation dans le jeu, plutôt basique, des acteurs.
Le film de Francesco Bertolini, Adolfo Padovan et Giuseppe de Liguoro ne saurait encourir ces reproches et sa carrière commerciale, orchestrée par Gustavo Lombardo, futur fondateur de la Titanus, ne fut pas vraiment menacée par le modeste concurrent. Elle fut même triomphale, dépassant largement les frontières de la péninsule.
- Inferno (1911) - DVD Cineteca di Bologna
C’est d’ailleurs une version conservée à la Librairie du Congrès de Washington, avec intertitres en anglais, qui, éditée en DVD et assortie d’une musique (discutable) de Tangerine Dream, est la plus facilement accessible aujourd’hui.
On privilégiera cependant celle restaurée en 2007 par L’Immagine ritrovata à partir de deux copies positives nitrate teintées et virées, provenant l’une du British Film Institute, l’autre de UCLA Film and Television Archive, ainsi que de trois contretypes en noir et blanc (Danske Filmmuseum, Bulgarska Nacionalna Filmoteka et American Film Institute) [1].
Le succès de L’Inferno encouragea Bertolini et Padovan à mettre en chantier une Odissea dont ne subsiste malheureusement qu’une version écourtée de 44 minutes qu’on projette généralement couplée avec La caduta di Troia - La chute de Troie, film contemporain de Giovanni Pastrone ( Cabiria).
[1] Cette version a fait l’objet d’une excellente édition DVD en 2011 dans la collection Cento anni fa. Il cinema ritrovato de la Cineteca di Bologna.
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