Visions et sortilèges
Le 16 mai 2010
Un film culte qui fatigue par son aspect de catalogue et sa démonstration pseudo-scientifique mais fascine par son sens extraordinaire de la composition et sa force expressive.
- Réalisateur : Benjamin Christensen
- Acteurs : Benjamin Christensen, Tora Teje, Clara Pontoppidan, Astrid Holm , Alice O’Fredericks, Oscar Stribolt, Poul Reumert, Gerda Madsen, Elith Pio
- Genre : Fantastique, Film muet
- Nationalité : Suédois
- Durée : 1h46mn
- Titre original : Häxan
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Un film culte qui fatigue par son aspect de catalogue et sa démonstration pseudo-scientifique mais fascine par son sens extraordinaire de la composition et sa force expressive.
L’argument : Un panorama du phénomène de la sorcellerie et de sa répression au fil des siècles, relié aux études sur l’hystérie, ainsi qu’un réquisitoire violent contre l’Inquisition.
Notre avis : Benjamin Christensen (1879-1959) a contribué, comme acteur et metteur en scène, à l’âge d’or du cinéma danois des années 1910. Ses premières réalisations Det hemmelighedsfulde X - L’X mystérieux en 1913 et Hævnens nat - La nuit de la vengeance en 1916 sont des romans feuilletons remarquables par leur sens de l’espace et du suspense. Ils sont édités tous deux en un DVD par Det danske filminstitut. Après 1922 il travaillera en Allemagne et aux Etats Unis (Mockery avec Lon Chaney) avant de retourner au Danemark pour quelques mélodrames parlants. Mais son oeuvre la plus célèbre et la plus étonnante est certainement ce Häxan - La sorcellerie à travers les âges qui a suscité une foule de commentaires dithyrambiques et peut sans conteste revendiquer le statut de film culte.
Il s’agit d’une véritable superproduction tournée en 1920 et 1921 au Danemark mais produite par la Svensk Filmindustri qui a accordé à Christensen des moyens quasi illimités à la mesure de ses ambitions. Si le titre original Häxan - La sorcière est un peu court, le titre français, pour une fois, rend bien compte du projet démesuré du cinéaste. Il s’agit ni plus ni moins que de dresser un vaste tableau du phénomène de la sorcellerie du Moyen-âge à l’époque contemporaine basé sur une documentation abondante patiemment rassemblée et inlassablement citée au long du film.
La volonté didactique et encyclopédique est en effet sans cesse mise en avant au risque d’assommer le spectateur. Ce risque est d’autant plus présent que Christensen se livre à un véritable réquisitoire et ne craint pas la démonstration. Il faut dire que si l’intention de réhabiliter les victimes de l’obscurantisme est louable, la thèse illustrée à n’en plus finir est fragilisée par de nombreuses approximations historiques et des raccourcis douteux qui mettent à mal le sérieux affiché de l’entreprise. Les inquisiteurs sont décrits de manière très caricaturale et l’équation sorcellerie - hystérie est bien dans l’esprit (pseudo-) scientifique du début du vingtième siècle. Les intertitres insistent lourdement sur la leçon à tirer mais sont néanmoins préférables aux sinistres commentaires en voix-off dit par Jean-Pierre Kalfon dans la version distribuée en France dans les année 80.
Pourtant le film vaut indéniablement le détour et pas seulement comme une curiosité historique. Certaines parties surnagent et échappent à l’aspect catalogue. Il y a d’abord un sens exceptionnel du casting qui mélange acteurs connus (Tora Teje, vue chez Stiller, ou Clara Pontoppidan, deux fois interprète de Dreyer) et trognes inoubliables : vieilles femmes trouvées dans la rue ou dans des asiles pour personnes âgées, bossues et phénomènes de foire. Ces visages et ces silhouettes qui crèvent l’écran sont insérés dans de savantes compositions qui rappellent Breughel, Bosch, ou les Vanités du 17ème siècle et sont autant de tableaux vivants d’une richesse et d’une force expressive peu commune. Un goût prononcé pour le grotesque et un érotisme affirmé animent ces tableaux. Les scènes de sabbat sont grouillantes de détails et très réussies. Les procès de l’inquisition, malgré des procédés répétitifs, frappent par l’insistance fétichiste sur les appareils de torture et la tension érotique y circule de manière très perceptible. Mais la comparaison avec l’épisode de l’Inquisition dans Blade af Satans bog - Pages arrachées du livre de Satan chef d’oeuvre légèrement antérieur de Dreyer, produit également par la Svensk FI en 1919, n’est pas favorable à Christensen. Ce sont les scènes dans le couvent, basées sur l’histoire des possédées de Loudun, qui sont peut-être les plus impressionnantes, à la fois par leur beauté plastique et leur force dramatique. L’espace vaste et dépouillé y est utilisé de façon magistrale et l’expressionnisme des postures et des visages y atteint son paroxysme.
Häxan reste donc, malgré ses faiblesses, un monument de l’histoire du cinéma ou du moins une oeuvre inclassable et fascinante, à goûter de préférence à la petite cuillère pour éviter l’indigestion.
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