G. M. Camargo, la soixantaine dynamique mais solitaire, est le directeur d’un quotidien de Buenos Aires sur lequel il règne en véritable tyran, exigeant de ses collaborateurs un zèle et une assiduité proches de la dévotion au maître. Mais son souci de la vérité, sa passion pour le journalisme et son intégrité faite règle de vie le rendraient presque sympathique. D’autant que, abandonné enfant par sa mère et lui-même père de deux jumelles dont l’une est atteinte d’une leucémie, Camargo peut bien s’épuiser à renforcer jour après jour cette armure qui suscite crainte et admiration : il sait lui-même que si la souffrance a disparu, il lui reste la colère, prête à tout instant à déjouer ses défenses et à révéler sa vulnérabilité.

C’est une journaliste sans expérience, pas fatalement belle mais effrontée et avide de réussite, Reina Remis, qui déclenche, d’abord l’amour, puis, presque simultanément, la fureur de Camargo, le précipitant dans les affres d’une volonté de puissance aveuglante et tragique.

T. E. Martínez fait de la décadence de Camargo un récit alinéaire, déposant ça et là quelques signaux qui sont comme des repères pour le lecteur dans cette liaison labyrinthique. C’est dans un climat d’urgence anxieuse que se lit Orgueil, avec le pressentiment que la brutalité et la cruauté de Camargo peuvent, à tout instant, bouleverser la donne. Des portraits psychologiques d’une précision extrême prennent corps dans la réalité d’une Argentine en pleine déliquescence, celle d’avant la grande crise de 2001-2002. Superbes décombres.