One bedroom

Bettina Richards a de quoi être satisfaite : non contente d’avoir, en l’espace de cinq ans, imposé son label Thrill Jockey comme le principal laboratoire américain en matière de post-rock, de jazz expérimental ou de pop raffinée, elle a également grandement contribué à faire éclater au grand jour le talent phénoménal d’artistes liés à la nébuleuse Tortoise. Car le groupe de Chicago, aujourd’hui porte-étendard assumé du label, est en fait le noyau dur d’une véritable communauté rock dont l’orfèvrerie pop The Sea And Cake fait partie intégrante depuis maintenant neuf ans.

C’est ainsi que sort aujourd’hui One Bedroom, le déjà sixième album du groupe dont John McEntire, principale tête pensante de Tortoise, assure les parties de batterie, les percussions ainsi que certains claviers. Mais l’identité musicale de The Sea and Cake (une pop aérée à la beauté résolument naïve) est davantage à mettre au compte de Sam Prekop (chant, guitares, claviers) et d’Archer Prewitt (guitares, claviers, chant). Pour compléter le quatuor, il faut ajouter le touche-à-tout Eric Claridge à la basse, auteur par ailleurs des peintures ornant la pochette du très réussi nouvel album de leurs voisins d’écurie Brokeback (chez qui officie Douglas McComb, bassiste de Tortoise).

Dès l’intro de Four Corners, morceau qui ouvre One Bedroom, nous voilà plongés dans un univers ouaté familier : les arpèges entêtants et graciles mènent à un chemin sur lequel on croise le fantôme des Smiths et des Sundays. Lorsqu’on entend enfin, alors qu’on ne l’attendait plus, la douce voix de Sam Prekop, on jurerait avoir déjà croisé The Sea And Cake chez les défunts Sarah Records. A d’autres moments, on s’imagine que le groupe a conclu un pacte d’échange avec The Notwist, une sorte d’Erasmus musical : prêtez-nous le son cristallin de l’electronica allemande, et on vous prête les guitares des garages américains. Et à bien y réfléchir, on se dit qu’effectivement The Notwist est le cousin germain le plus proche de The Sea And Cake : même penchant pour une pop mâtinée de guitares sur lit douillettement électronique, même voix éthérée et discrète. Et au final, même impression de savourer une sorte de nostalgie du futur, un peu comme ces crèmes dessert estampillées "saveurs d’autrefois" par les annonceurs et qui portent paradoxalement la mention "produit nouveau".