Le 10 juin 2019
Sous la forme d’un essai qui fait suite à un cycle de cinéma au Jeu de Paume à Paris, Joséphine Jibokji publie un livre érudit et documenté sur les décors des films français des années 1960. Un travail qui peut paraître spécialisé mais qui donne envie de voir, revoir, découvrir d’un autre oeil, la photogénie d’objets de cinéma dont la fonction est tout sauf accessoire.
- Auteur : Joséphine Jibokji
- Collection : L’art & l’essai
- Editeur : INHA, CTHS - Comité des travaux historiques et scientifiques Institut rattaché à l’École nationale des chartes
- Genre : Cinéma, Art & Culture
- Titre original : Objets de cinéma : De Marienbad à Fantômas
- Date de sortie : 6 juin 2019
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Résumé : Le cinéma français des années 1960 est peuplé d’objets spectaculaires ou anodins fabriqués dans le seul dessein d’être filmés. La statue de L’Année dernière à Marienbad, le mobile en tôle des Aventuriers ou la DS volante de Fantomâs sont autant de simulacres nécessaires à la conduite de la narration. Que nous disent-ils du cinéma, de ses spécificités et de ses relations avec les arts plastiques ? Ils participent au fonctionnement du récit mais ils intègrent aussi, dans l’espace du film, les débats issus de la théorie et de l’histoire de l’art. En nous faisant découvrir cette époque d’exubérance formelle et de révolutions artistiques, l’auteur démontre que ces objets de cinéma, simples accessoires, racontent pourtant l’essentiel du cinéma de fiction.
Notre avis : Dans La projection du monde, Stanley Cavell a lu Le peintre de la vie moderne de Charles Baudelaire, comme une prémonition du cinéma. Il a eu l’intuition que les objets que sont « la Mode, l’Homme du monde, les Foules, l’Enfant, les annales de la guerre, pompes et solennités, le militaire, le dandy, le maquillage, les femmes et les filles, les voitures », choisis par le poète pour intituler ses chapitres, étaient des réservoirs d’obsessions cinématographiques. Les objets de cinéma privilégiés par Joséphine Jibokji sont autres. Plus conceptuels, les termes des chapitres ont à voir avec l’intention de l’auteur de favoriser la rencontre entre beaux-arts, art contemporain et cinéma : traces, cadres, vitesses, cages. Cette finalité ressemble au choix de Cavell de rapprocher littérature, photographie, dessin, peinture et cinéma dans cette réflexion pionnière qui, dès 1971, mariait cinéma et philosophie.
Jibokji situe son travail dans la perspective d’une rencontre entre les arts plastiques et le cinéma et, par exemple, choisit la place et l’image de la sculpture pour interroger les traces dont elles sont porteuses, dans des films où ces objets pas comme les autres sont centraux. En ouvrant l’explicitation de son corpus par Le Faucon maltais, l’auteur souligne d’emblée combien cette centralité n’est pas synonyme d’omniprésence visuelle. On ne voit quasi jamais la statuette du Faucon maltais, qui se dérobe à notre regard et à ceux des protagonistes, dont la perception finale tient en ses mots de Sam Spade : « the stuff that dreams are made of », confondant le caractère de simulacre et l’illusion de cette rêverie de l’inestimable, pour lequel on est prêt à tout.
Cette référence est la meilleure manière d’introduire le propos de l’auteur sur les traces. Il s’agissait sans doute pour lui de montrer comment Dashiell Hammet dans le roman et John Huston dans son adaptation cinématographique, ont dû créer une autre réalité, grâce à laquelle il sera possible de construire le récit de cette quête/enquête. Il a fallu matérialiser cet objet rêvé que Dashiell Hammet décrit ainsi : « Gutman retourna l’oiseau, la tête en bas, et gratta un coin de sa base avec le couteau. De la laque noire se détacha en très fines lamelles, exposant un métal noirci. La lame mordit dans le métal, ne réussissant qu’à soulever un minuscule fragment incurvé. La face interne de celui-ci et le creux laissé par le canif avaient l’aspect gris et terne du plomb. »
De là, Jibokji met en lumière les relations entre les arts plastiques et un corpus de films dans lesquels la sculpture, la peinture, la photographie, la performance… jouent des rôles de premier plan : Les Aventuriers de Robert Enrico, Jules et Jim de François Truffaut, L’année dernière à Marienbad d’Alain Resnais, Le mépris de Jean-Luc Godard, Playtime de Jacques Tati, Yoyo de Pierre Etaix, Elle boit pas, elle fume, elle drague pas … mais elle cause de Michel Audiard, Les Godelureaux de Claude Chabrol, Les demoiselles de Rochefort de Jacques Demy, Anna de Pierre Koralnik, Le Viol de Jacques Doniol-Valcroze, La prisonnière de Henri-Georges Clouzot, Goto, l’île d’amour de Walerian Borowczyk, Les créatures d’Agnès Varda, Qui êtes vous Polly Maggoo de William Klein, les Fantômas d’André Hunebelle,.… sont étudiés à l’aune de cette étude des décors et de ces objets d’art pris pour ce qu’ils sont, pour ce qu’ils expriment, pour ce qu’ils représentent dans le projet esthétique et symbolique de ces films. Une déambulation dans un cinéma avant l’essor de la vidéo, qui laisse sans doute un goût nostalgique et proustien à ceux qui l’ont connu, et qui aiguille notre curiosité cinéphilique et artistique vers ce panorama de la culture visuelle, que les années 1960 nous ont légué.
Éditeur CTHS-INHA
Parution : 2019
352 p. | 16,5 x 22 cm | ill. | br.
Collection : L’Art et l’Essai
N° dans la collection : 20
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