Le 11 septembre 2018
Avant Le décalogue, Kieslowski a signé ce film sombre et poignant qui mériterait d’être (re)découvert.
- Réalisateur : Krzysztof Kieślowski
- Acteurs : Grazyna Szapolowska, Maria Pakulnis, Jerzy Radziwilowicz
- Genre : Drame
- Nationalité : Polonais
- Distributeur : Cannon France
- Durée : 1h49mn
- Box-office : 6.185 entrées France / 3.866 entrées P.P.
- Titre original : Bez konca / No End
- Date de sortie : 26 octobre 1988
- Voir le dossier : Cannon Films
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– Année de production : 1985
Résumé : Zyro, avocat, vient de mourir il y a quelques jours. Il voit maintenant de loin le monde des vivants et observe ce qu’il a laisse : sa femme qui se rend compte combien il est difficile de vivre sans lui, un de ses clients, jeune ouvrier accusé d’avoir organise une grève, que défendent d’autres avocats de manière différente de la sienne... Ce film fut censuré pendant plusieurs années en Pologne.
Notre avis : Dans ce film méconnu hanté par la mort, Kieslowski suit les traces d’une jeune veuve, Ursula, dans la Pologne corsetée du début des années 80. Les premières images, le cimetière de Varsovie envahi de bougies font écho à une autre scène, vers la fin, qui reprend ce motif. Entre les deux, Ursula a reçu Joanna, dont le mari en prison pour cause de grève devait être défendu par le défunt. Elle la renvoie à un autre avocat qui va être mis à la retraite, affublé d’un assistant révolté quand lui, fatigué et désabusé, est prêt à des compromis pour sauver Darek d’une condamnation politique. Ce petit monde s’agite et reflète l’état d’un pays usé par un pouvoir oppressant. Pourtant, s’il y a bien une dénonciation qui valut la censure au film, ce n’est pas ce qui intéresse Kieslowski : moins que les grands enjeux, il s’attache de sa manière un peu froide à des itinéraires individuels, plus existentiels que politiques ; Ursula comprend peu à peu qu’elle aimait son mari ; Darek plie devant l’adversité ; l’avocat sauve son client mais le coup d’éclat dont il rêvait échoue en basse compromission. Autant de destins, autant d’échecs. Si Darek baisse la tête sur son banc en signe de capitulation, Ursula se suicide pour rejoindre son mari, avec lequel, dans une belle scène finale au flou évocateur, elle part.
La mort est au cœur de ce métrage pessimiste : outre les bougies déjà citées, il faut préciser que le récit est raconté (au moins en partie) par Antek, le décédé, qui s’adresse à la caméra et réapparaît de temps en temps au détour d’un recadrage. Mais s’il y a fantastique, jamais le cinéaste ne joue sur la peur ou les effets spéciaux : le fantôme est placide, en attente, observateur muet et froid. Ursula a beau tenter de l’oublier dans des séquences troublantes d’adultère (magnifique idée que de la faire se confier à un Américain qui ne la comprend pas) et d’hypnose, elle ne fait que s’enfoncer dans un isolement impossible à défaire : même en présence de la femme de Darek, sa souffrance empêche toute compassion. D’autant qu’elle se frotte à des signes abscons que Kieslowski excelle à cadrer en gros plans (un bas déchiré, une chaussure, un point d’interrogation sur un dossier, des photos découpées) ou à des situations qui révèlent l’absurdité du monde : sa voiture tombe en panne, une autre passe en klaxonnant pour percuter un camion quelques secondes plus tard.
Sans fin n’a rien d’une œuvre limpide et confortable : le réalisateur n’appuie pas, ne grossit pas le trait, et pose plus de questions qu’il n’offre de réponses. D’où ce sentiment d’être confronté à une opacité qui dépasse de loin le cadre de la Pologne de 1982 : c’est de la condition humaine qu’il s’agit, vue par un regard sombre qui refuse toute échappatoire, tout soulagement. En un sens, le film se développe comme un suspens que chaque étape obscurcit. Mis en scène sans fioritures mais avec une extraordinaire attention aux détails, Sans fin marque la première collaboration de Kieslowski avec Krzysztof Piesliewicz, qui deviendra son scénariste attitré et le conduira vers des sommets. On n’en est pas encore tout à fait là, mais ce film précieux et sans concessions n’est pas de ceux qu’on oublie.
- Distributeur 1988 : Cannon France
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