Le 29 janvier 2017
Ce dernier volet du Décalogue rejoint par sa précision et son regard moral les neuf autres, tout en modifiant la tonalité générale.
- Réalisateur : Krzysztof Kieślowski
- Acteurs : Daniel Olbrychski, Maja Komorowska
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Polonais
- Durée : 57mn
- Titre original : Dekalog dziesiec
- Date de sortie : 4 avril 1990
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Année de production : 1988
Résumé : Piotrek Jurek et Artur sont frères. Quand leur père qui les a négligés toute leur vie meurt, ils découvrent la valeur de sa fameuse collection de timbres.
Notre avis : On ne l’aurait pas imaginé, mais ce dernier « épisode » se conclut par un éclat de rire complice entre les deux frères ; finies larmes et tensions, ou presque, comme un adieu optimiste à une série très sombre et marquée par un regard moraliste sans concessions. De concessions, il n’est toujours pas question ici : le style est minimaliste, focalisé sur des visages et des mains, et cette austérité est évidemment essentielle pour ce projet centré sur l’humain ; toute distraction est bannie, les décors inexistants à part l’appartement du père, la profondeur de champ pratiquement supprimée, la musique réduite à des percussions comme autant de ponctuations. L’humain, rien que l’humain.
Kieslowski s’empare d’une anecdote et construit un scénario implacable qui conduit en toute logique vers un désastre ; mais en chemin, il propose une réflexion aiguë sur ses deux personnages, frères sans complicité qui se découvrent à la tête d’une fortune. Comment réagir ? C’est là l’enjeu du film, bien loin d’une piste policière qui ne sert que de révélateur des passions. Tout à tour paranoïaques, obsessionnels, ils se rassemblent puis se méfient ; surtout ils renoncent à tout pour leur magot, dont la vraie valeur n’est plus financière : au-delà, il y a ce sentiment ambivalent de retour en enfance dont ils comprennent qu’il est la possibilité de vivre une dernière fois au présent, débarrassés des responsabilités adultes. Les timbres, en ce sens, ne sont qu’un prétexte, un nœud narratif quasi-abstrait. Mais il les conduit à des renoncements de plus en plus forts (la musique, la famille, un rein pour finir), renoncements nécessaires pour aboutir à une ironie cruelle : tout ça pour rien, ou plutôt pour un début dérisoire de collection, un jeu enfantin.
Au passage le cinéaste semble résumer sa série en évoquant à demi-mots d’autres péchés : le film s’ouvre sur un rock qui énumère un « contre décalogue », puis c’est de manière allusive que seront évoqués l’adultère, le vol, le mépris vis à vis du père. Concluant son œuvre, il la reprend en traits rapides pour en magnifier l’aboutissement et célébrer une sorte d’apaisement inédit. Bien sûr, on est loin de la gaudriole : la mort rôde partout, du père aux poissons en passant par la proposition de piquer le chien ; de même la violence, qu’elle soit physique envers le petit escroc ou morale (le piège tendu au marchand, les dénonciations parallèles) est omniprésente. C’est que Kieslowski scrute un monde âpre, impitoyable pour les faibles (le fils victime d’une escroquerie), dangereux (tous les systèmes de protection s’avèrent inutiles) et au final un monde dans lequel les puissants, ceux qui réussissent, restent dans l’ombre : c’est ainsi qu’on ne saura pas qui a volé la collection, même si la piste du complot est évoquée dans une belle scène de regards. On est là en pleine paranoïa, voir encore cette séquence étrange, dans le parc, qui semble filmée en caméra subjective.
On reste fasciné par la puissance d’évocation du cinéaste polonais : en quelques plans, il sait installer une atmosphère, des personnages ; et sa maîtrise éclate dans le montage alterné, aussi inattendu qu’efficace, entre le vol et l’opération. Kieslowski ose ici un rapprochement inédit, lourd de significations et pourtant évident à l’écran. C’est un cinéma infiniment pensé, dans lequel le hasard n’entre que pour très peu : même les comédiens semblent obéir à des consignes précises, dans leur jeu tendu et millimétré. Le film a beau être court, il ouvre sur des perspectives passionnantes, à la fois morales, scénaristiques et cinématographiques. Saisissante conclusion d’un ensemble qui vaut par chacune de ses pièces comme par son entièreté.
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