Décalogue 3, Tu respecteras le jour du seigneur - la critique du film

Notre avis : Kieslowski poursuit son Décalogue le temps d’une nuit de Noël désespérée. À la faveur d’une messe de minuit, Janusz, père de famille nostalgique, croit entrevoir quelques rangs derrière lui un visage connu - la vision, presque évanescente, sonne dans pareil contexte comme une tentation. Plus tard, il découvre de nouveau ce même regard rodant autour de chez lui : il s’agit d’Ewa, ancienne amante aujourd’hui terrassée par la disparition d’un dénommé Edward. Il décide de partir avec elle pour retrouver le disparu, prétextant auprès de sa femme le vol de leur voiture pour pouvoir s’absenter. À l’instar des autres épisodes du Décalogue, Tu respecteras le jour du seigneur place son protagoniste central dans une situation de dilemme moral. Janusz doit ainsi très vite choisir entre chasser Ewa malgré ses larmes et leur souvenir commun, ou partir avec elle en brisant l’espace de quelques heures les liens symboliques qui le retiennent auprès de sa femme et de ses enfants endormis. L’équipée noctambule des deux promeneurs, portée par mise en scène complexe teintée de nuances de rouge, de bleu, de vert - climats psychologiques changeants -, est annonciatrice du travail de Kieslowski sur sa trilogie Trois Couleurs. Mais cette échappée doit aussi être pensée à l’image de l’évasion inaugurale et symbolique de l’enfant à laquelle assiste Ewa. Comme si ce détail anodin servait à raviver chez celle-ci tout une frange de passé - comme un besoin de catharsis.

Depuis les rues aux lampions colorés mais lugubres jusqu’au parking sous-terrain et ses skateurs ramenant en creux les deux amants à leur enfance perdue en passant par la course poursuite libératrice avec la police dans le tunnel bleu, Janusz et Ewa exorcisent indiciblement un passé commun qu’il leur était jusqu’alors nécessaire de refouler. Point d’orgue de ce purgatoire ténébreux : la séquence dans l’appartement où chacun songe à tour de rôle face au miroir de la salle de bain au suicide. Manière peut-être pour les deux personnages de se soustraire à l’insoutenable douleur de revivre des instants d’éternité auxquels il leur faudra in fine renoncer. À noter que Stanley Kubrick, avec Eyes Wide Shut, se souviendra avec netteté de ce troisième épisode du Décalogue de Kieslowski. Outre la virée nocturne mystérieuse, seront à nouveau utilisées des couleurs semblables pour allégoriser un monde où se joue la morale et l’innocence perdue. Initié sur un homme ivre traînant une peluche de lapin - la candeur brisée, encore -, Décalogue 3 se termine sur un tête à tête entre Janusz et sa femme suspicieuse. "Tu sortiras encore le soir ?", lui demande-t-elle. Et lui de répondre : "Non… non, plus jamais". Pas sûr que Kieslowski, chez qui perce cette fois une pointe de paranoïa via l’intégration à sa mise en scène d’une caméra de sécurité, soit lui-même convaincu de cet engagement pieux…