Lettre d’une inconnue
Le 2 juillet 2016
Décalogue 4, ou comment Kieslowski fait d’une simple lettre un objet magique capable de déborder la mise en scène et la psychologie de ses personnages. Virtuose.
- Réalisateur : Krzysztof Kieślowski
- Acteurs : Aleksander Bardini, Adrianna Biedrzyńska, Janusz Gajos
- Genre : Drame
- Nationalité : Polonais
- Durée : 59mn
- Reprise: 29 juin 2016
- Titre original : Dekalog
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– Année de production : 1987
– Reprise salle : 29 juin 2016 (distribution MK2/Diaphana Distribution)
Résumé : Avant de mourir, la mère d’Anka a laissé une lettre. Mais ni Anka ni son père n’arrivent à la lire, ou à la détruire…
Notre avis : Se pencher sur un épisode du Décalogue en ne passant au crible que son raisonnement moral ne saurait qu’en effleurer la portée. Étayer en quoi la parabole de Décalogue 4, Tu honoreras ton père et ta mère se contente de soumettre le quatrième commandement au réel de la Pologne pré-chute du mur, relève peut-être de la facilité programmatique. Car les idées de cinéma déployées par ce quatrième volet de la décalogie, nombreuses, priment nettement sur la rigidité virtuose du scénario. Évacuons d’emblée la question morale que pourrait poser un éventuel inceste ou autre complexe d’Œdipe. De telles thématiques, au-delà de leur valeur sur le plan religieux, demeurent des incontournables du septième art - notamment pour leur propension tragique. Mais Kieslowski cherche dans le fond avec Le Décalogue à placer le médium cinéma au centre d’un système capable de dépasser les vieilles antiennes dévotes.
Dans ce système où père et fille apparaissent initialement lézardés par l’ombre d’une persienne, les protagonistes semblent pris au piège. Dans une dynamique très Nouvelle Vague, une jeune femme espiègle réveille un homme d’âge mûr en lui versant le contenu d’une cruche d’eau sur le visage. La caméra arpente l’appartement en contre-plongée, introduisant l’histoire d’amour du duo dans un réseau étrange d’attirance et de répulsion, de dichotomies inconciliables mais aussi bizarrement compatibles. Si le père voyage énormément, la fille reste sédentaire, ne bougeant pas de l’immeuble où elle croise parfois le médecin du Décalogue 2. Kieslowski oblige, un objet crucial achève de propulser cette histoire sur différentes strates : une lettre écrite par la mère défunte et destinée à la fille, Anka, mais à n’ouvrir qu’après la mort du père. Clé de voûte dont la méconnaissance menace de fissurer tout l’édifice filmique. Comme si son ouverture revenait à embraser la pellicule même du film, à réduire en cendres tout ce que la mise en scène avait jusqu’à présent établi. À commencer par ce doute introductif où Anka et sa nuisette trempée éveillent dans le regard du père une forme de désir larvé.
Alors que l’intrigue ne disposait que de deux scènes - l’appartement, dans une moindre mesure la forêt et l’étang adjacent, et le hors champ au-delà de l’aéroport -, l’existence de la lettre fragmente les espaces : le bouleversement psychologique va alors de pair avec la multiplication des lieux parcourus : couloirs, ascenseurs, cave… autant de recoins propices à renvoyer à un mouvement cérébral. C’est que la possibilité d’un passé distinct de celui escompté risque à tout moment de dissoudre le présent - ce que nous traduit la séquence du cheval à bascule et autres souvenirs du passé enfouis dans l’hypogée. Et si les protagonistes eux-mêmes, se demande Kieslowski, n’étaient aussi plus les mêmes, prenant face à cette boîte de Pandore conscience d’une individualité refoulée et radicalement différente n’attendant que d’éclore ? Troublante, cette scène où Anka choisit comme parapet le théâtre pour échapper au doute destructeur de la lettre, jouant le rôle de sa mère récitant la missive - qu’elle n’a d’ailleurs sans doute jamais eu le courage de lire - à son père lors de son retour à l’aéroport. Plutôt que de laisser le film se consumer par lui-même, Anka finit par brûler la lettre. Pour conjurer le sort et la fatalité : le cinéma. Peut-être l’épisode le plus optimiste du Décalogue…
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