Les révoltés du Château Margaux
Le 4 avril 2006
Le récit jouissif, authentique et digressif de l’envoi par le fond d’un navire à la cale remplie de bordeaux. Du bonheur dans l’horreur.
- Auteur : Jacques Perret
- Editeur : Le Dilettante
Emporté par les rêves mexicains de Badinguet, Maximilien d’Autriche fait voile vers l’empire des Aztèques avec l’espoir de s’y tailler, comme l’écrit Jacques Perret, "un trône chez les Peaux-Rouges". Le suit, de loin, un autre navire français, transportant dans sa cale suffisamment de fûts de bordeaux pour regonfler le moral des zouaves, victimes en masse de cette colonisation foireuse. A bord du Foederis Arca, un équipage d’une douzaine de matelots ramassés à la hâte, épaves avinées tenant mieux le vermouth qu’un voyage au long cours. Un peu plus d’un mois après son départ, à l’été 1864, le navire sera envoyé au fond de l’océan par des mutins au vin mauvais.
L’histoire est authentique (elle se soldera pas la condamnation à mort des meneurs), sanglante (le capitaine et son second avaient précédé leur bateau, le mousse les suivra) et passionnante. Du moins lorsqu’elle est racontée avec une telle verve. Car Jacques Perret ne s’y connaît pas seulement en navigation. Sa prose est purement jubilatoire et l’on aurait beau chercher au fil de ce voyage digressif parfois ("J’ai dû imaginer pas mal d’incidents, de détails et de gestes possibles autour de l’événement certain", écrit-il) un mot de trop, un seul, qu’on ne le trouverait pas [1]. Mieux : la désinvolture dont fait preuve l’auteur face à cette histoire imposée peut-être [2], le sourire avec lequel il la narre, plonge peu à peu le lecteur dans l’horreur.
Et l’on cherchera, en vain encore une fois, le souvenir d’un roman qui, plus que celui-là, nous plongea aussi profondément au cœur d’une mutinerie. Même menée par pareil équipage que Jacques Perret se garde bien de flanquer par-dessus bord : "Leclerc fait semblant de rire, comme il fait semblant de haïr, comme il fait semblant d’avoir soif, comme il fait semblant de tout, par peur. C’est le mimétisme des faibles. Combien sont-ils à bord qui font semblant d’être mauvais et jusqu’où leur faudra-t-il aller dans cette comédie panique ?"
Jacques Perret, Mutinerie à bord (première édition 1953), préface d’Erik Orsenna, Le Dillettante, 2006, 247 pages, 17 €
[1] Aucune référence non plus aux opinions politiques de Jacques Perret, nostalgique de l’Algérie française
[2] Dans sa préface, Erik Orsenna (qui parle avec raison de "flânerie" et de "nonchalance") note : "Que cette œuvre soit de commande ne me surprendrait pas."
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Hurlyburly 7 avril 2006
Mutinerie à bord - Jacques Perret - Critique livre
A noter qu’un blog officiel et d’excellente facture est tenu par la famille de l’auteur. Il est consultable à l’adresse suivante :
http://www.jacques-perret.com
Par ailleurs, un recueil roboratif de Chroniques de Jacques Perret est paru en décembre dernier - il propose notamment une préface de Cavanna qui assume pleinement (et avec finesse) les multiples facettes du personnage :
http://www.jacques-perret.com/index.php?sujet_id=650