Multicolore : Tengo John dans sa bulle

Notre avis : Connu pour ses gros kickages de possédé, on attendait de pied ferme la nouvelle mixtape de Tengo John, l’un des rappeurs les plus prometteurs actuellement, pour qui 2018 rimait avec l’année de la reconnaissance. Bien aidé par la radio du Règlement qui a eu du flair en diffusant les Trois Sabres Pt III (que l’on retrouve bien évidemment ici), le jeune MC a su gagner en notoriété par la sortie de ses différents morceaux pour préparer comme il se doit l’arrivée de son Multicolore. Découverte pour beaucoup, il lui restait donc à confirmer ses talents et fortifier les espoirs qu’on avait placés en lui. Fort de ses précédentes expériences avec pas moins de quatre projets depuis 2013, Tengo John maîtrise parfaitement son univers, qui se construit là où on l’attendait pas forcément lorsqu’on se positionne comme un auditeur ayant découvert l’artiste avec ses derniers missiles.

Copyright : Laura Brunisholz

Au vu du nom donné à la mixtape, l’hétérogénéité du rappeur sonne après coup comme une évidence, et on le sent dominé par cette envie de varier les plaisirs sur un format – la mixtape – adapté, comme avait pu le faire plus tôt PLK avec son très bon Platinum, mélange de kickage sec et de singles dansants. Pour Tengo John, le partage se place plutôt entre une ambiance de lover sensible et celle beaucoup plus brutale d’égotrip d’une maîtrise lyricale et technique éprouvante. A bien y regarder, et sans parler de mensonge sur la marchandise non plus, on voit le parisien très attaché à cet univers romantique et mélancolique, ce que ses extraits placés ça et là ne laissaient pas soupçonné dans une si grande proportion. Pourtant, c’est bien ce même rappeur qui avait sorti en 2016 un EP centré exclusivement sur son histoire amoureuse avec une grecque, peu connu, mais forcément annonciateur de la suite. Pour celui qui cherchait dans Multicolore un moyen pour son cerveau de se retourner aussi salement que le début du clip de Collision, la satisfaction ne sera pas au rendez-vous et la mixtape se révélera assez déceptive. Pour autant le projet alterne ses différentes propositions si bien qu’elle ne banalise ni ses bangers, ni ses titres romantiques.

Le contraste entre Trois Sabres Pt III et Geisha ou encore entre La Vie est Belle et Outsider renforce intelligemment l’ambiance et la force de chaque titre. Cherchant les extrêmes, le parisien rencontre néanmoins des difficultés à vraiment unir les disparités très fortes de son univers mais le format de la mixtape sert justement à travailler cet aspect. Tengo expérimente à la Orochimaru (pas d’abus de références japonaises, heureusement) pour un résultat hybride, désarticulé certes, mais dense et généreux. Entier dans ce qu’il fait, le rappeur se donne à travers son projet, par le biais du très mélancolique Printemps ou encore de Bulle, égotrip calme et poétique nappé par une instru electro envoûtante. La sensibilité de Tengo John s’exprime par une écriture plus délicate qu’elle ne le paraît et une très belle maîtrise mélodieuse, même si l’autotune reste inégale selon les morceaux. Son saisissant Cityzen Spleen s’inscrit dans cette direction d’un rappeur romantique à l’ancienne (Musset, Lamartime et toute la team) en extériorisant son détachement au monde, ici en compagnie de Prince Waly avec qui il partage une alchimie évidente.

Son mal-être se traduit donc par ce genre de morceau assez explicite sur sa mentalité, mais finalement aussi via ses bangers, opérant comme un exutoire nécessaire. Outsider, derrière son arrogance propre à l’exercice de l’égotrip, déploie une imagerie de dernier de la classe délaissé prêt à prendre sa revanche, surtout ressenti via le couplet de killer de Dawan, et qu’entretient Tengo par sa personnalité rêveuse et songeuse. Le kickeur se défoule – nous aussi – et n’hésite pas à inviter ses potes à faire de même. Au vu de la qualité de morceaux comme Collision en feat avec Eden Dillinger ou encore Interphone en feat avec FA2L, il aurait tort de s’en priver. Le rappeur parisien parvient à attirer autrui dans sa bulle, que ce soit pour poser un couplet ou simplement pour écouter ses morceaux. Tengo John crache avec rage, on bouge la tête avec rage. Tengo John rumine sur sa vie, on ferme les yeux et on se laisse emporter par ses pensées. Bruyant ou calme, sombre ou clair, Multicolore forme une présentation entêtante de ce Tortank humain.