Le 18 mai 2020
- Acteur : Michel Piccoli
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L’acteur français est mort le 12 mai, à l’âge de 94 ans. Sa très riche carrière au cinéma et au théâtre en faisait l’un des derniers "monstres sacrés" de sa génération.
News : Si la notion de "grand acteur" est parfois galvaudée, avec Michel Piccoli, elle prend une dimension d’une réelle consistance, tant le comédien aura, tout au long d’une prolifique carrière au cinéma, non seulement tourné sous la direction des plus grands metteurs en scène (Hitchcock, Renoir, Moretti, Godard, Melville, Buñuel, Chabrol, Scola, Demy, Clouzot, Ruiz, Angelopoulos...), mais pris des risques qui lui ont fait accompagner des projets radicaux (tout le monde se souvient du scandale de La Grande Bouffe de Marco Ferreri, en 1973), beaucoup moins de gens se rappellent l’iconoclaste Themroc de Claude Faraldo, sorti la même année). Loin de se cantonner à des valeurs sûres du septième art, Piccoli a aussi, au fil de son parcours, soutenu de jeunes réalisateurs comme Leos Carax (Mauvais Sang, en 1986), Jacques Doillon (La Fille prodigue, en 1981) ou, plus récemment, Bertrand Bonello (De la guerre, 2008). Bref, en 176 longs-métrages, 49 pièces de théâtre et 33 courts-métrages, l’artiste aura accompagné soixante-dix années de vie culturelle hexagonale.
Second rôle
Après une formation au cours Simon, l’acteur débute au cinéma dans Sortilèges, de Christian-Jaque, sorti en 1945. Les quinze premières années sont celles d’un relatif anonymat : le comédien est un second rôle que l’on voit dans French Cancan (Jean Renoir, 1954) et Les Grandes manœuvres (René Clair, 1955). Sa carrière est avant tout théâtrale : après la guerre, Piccoli interprète des classiques du répertoire comme Les Gaietés de l’escadron de Georges Courteline, La Maison brûlée d’August Strindberg, Penthésilée d’Heinrich von Kleist. Il est alors dirigé par de grands metteurs en scène comme Claude Régy, Jacques Mauclair ou Jean-Marie Serreau.
La décennie glorieuse
A partir de 1962, un rôle plus consistant dans le polar de Melville, Le Doulos, attire l’attention du public. L’année suivante, c’est la consécration : Jean-Luc Godard l’engage pour son chef-d’œuvre Le Mépris. Il y incarne avec un naturel confondant, au côté du mythe Bardot, un scénariste dont le couple se désagrège. Sa carrière est définitivement lancée : le cinéma ne le laissera plus de côté, l’obligeant à espacer pour quelque temps ses prestations sur les planches. En 1965, il enchaîne neuf films, dont les classiques Compartiment tueurs de Costa-Gavras et Paris brûle-t-il ? de René Clément, où il interprète le haut fonctionnaire Edgar Pisani. L’année suivante, à travers le rôle d’un marchand de piano à la tendre nostalgie, Simon Dame, il fait partie du magnifique long métrage de Jacques Demy Les Demoiselles de Rochefort.
La deuxième partie de cette décennie glorieuse lui permettra d’être choisi par deux grands réalisateurs : Luis Buñuel et Alfred Hitchcock. Le premier, dans Belle de jour, lui offre un rôle de dandy manipulateur, le second, dans L’Étau, un rôle de traître flegmatique.
Entre reconnaissance et scandale
Les années 70 qui se profilent seront commercialement et artistiquement triomphales : la décennie s’ouvre par une collaboration avec le metteur en scène italien Marco Ferreri, dans la fable aux accents kafkaïens L’Audience, qui, plus de quarante ans avant Habemus Papam, constitue une satire du Vatican. Le provocateur transalpin poursuivra son travail avec Michel Piccoli dans Liza (1971), puis La Grande bouffe (1973), l’un des plus grands scandales cinématographiques de cette décade turbulente : Piccoli y joue - avec son propre prénom, comme les autres comédiens - un de ces bourgeois lassés qui décident de se suicider en faisant bombance dans une grande villa. Implacable réquisitoire contre la société de consommation, le long-métrage crée une immense polémique au Festival de Cannes 1973, est éreinté par une partie de la critique qui le juge globalement obscène. Avant la sortie houleuse de cette charge, l’artiste, qui n’a jamais caché ses opinions de gauche, est devenu l’acteur fétiche de Claude Sautet qui, dans Les Choses de la vie (1970), puis Max et les ferrailleurs (1971), lui adjoint une partenaire avec laquelle il formera un duo mémorable : Romy Schneider. Les deux films rencontrent un grand succès auprès du public. Michel Piccoli retrouvera un peu plus tard le metteur en scène pour une œuvre également couronnée de succès : Vincent, François Paul et les autres (1974), où il côtoie le jeune Gérard Depardieu avec qui il travaillera l’année suivante dans Sept morts sur ordonnance de Jacques Rouffio : il y offre une belle prestation en médecin rongé par l’inquiétude.
Eclectisme
Les années 80 sont à nouveau celles des films engagés : en 1981, le comédien est à l’affiche d’Une étrange affaire de Pierre Granier-Deferre, d’après le roman de Jean-Marc Roberts, donnant à son personnage de manager manipulateur une belle densité malsaine. Ce type de rôle n’était pas nouveau pour l’acteur : on se souvient que dans le pessimiste F comme Fairbanks (1976), de Maurice Dugowson, il se glissait déjà dans la peau d’un personnage dominant et cauteleux, éternel pourvoyeur de promesses non tenues, exaspérant le pauvre André Fragman qu’incarnait, avec sa fougue habituelle, le regretté Patrick Dewaere. L’autre long-métrage qui retient l’attention est le prophétique brûlot d’Yves Boisset, Le Prix du danger (1983), un grand film raté, anticipant l’apparition de la télé-réalité : Piccoli trouve matière à renouveler son jeu, en poussant encore plus loin le curseur de l’antipathie ; le personnage d’un immonde présentateur, prêt à divertir à partir d’un jeu cruel, est évidemment aux antipodes du justicier plein de mémoire, qui assassine un ancien nazi dans La Passante du Sans-Souci, sorti en 1982 (ce fut le dernier film de Romy Schneider). L’éclectisme de l’acteur se cristallise, durant ces années, à travers des collaborations variées qui vont de La Rumba, réalisé par Roger Hanin, à Passion de Jean-Luc Godard, en passant par Une chambre en ville de Jacques Demy, où il campe un pathétique marchand de télévision. Il fait aussi des incursions remarquées dans le cinéma étranger : ainsi, Adieu Bonaparte (1985) de Youssef Chahine lui permet une composition étonnante à travers le rôle du général Caffarelli, aux côtés de Patrice Chéreau qui incarne le futur empereur ; de son côté, La Diagonale du fou de Richard Dembo (Prix Louis-Delluc 1984, Oscar du meilleur film en langue étrangère en 1985), le présente en joueur d’échecs chevronné, confronté à un jeune concurrent provocateur. La décennie s’achève sur le populaire Milou en Mai de Louis Malle (1990), où il est un patriarche plutôt bonhomme qui investit sa demeure bourgeoise, pendant les événements de mai 1968. On l’apprécie aussi en peintre dans La Belle noiseuse de Jacques Rivette. Les derniers moments du siècle sont des années d’activité intense, où le comédien démontre sa capacité à se glisser dans des univers très différents, qu’il s’agisse d’une comédie d’Yves Robert (Le Bal des casse-pieds) où il joue un homosexuel, d’un grand spectacle historique comme Beaumarchais l’insolent (il y est le prince de Conti), d’un thriller sombre (L’Ange noir de Jean-Claude Brisseau).
Un ultime grand rôle chez Moretti
Sa carrière se ralentit à partir du nouveau millénaire. Sa fidélité à de grands réalisateurs (Jacques Rivette qui le fait tourner dans Ne touchez pas à la hache, en 2008), se conjugue à une confiance dans la jeune génération (Bertrand Bonello, avec qui il travaille la même année pour le film De la guerre).
Son dernier grand personnage lui est offert par Nanni Moretti : ce sera tout simplement... le pape ! (Habemus Papam, en 2001, fable polysémique globalement saluée par la critique, où le comédien joue un homme de pouvoir plein de doutes).
Parallèlement à cette carrière cinématographique prestigieuse, Michel Piccoli n’aura jamais oublié la scène : il y matérialisera un Adrien mémorable dans Le Retour au désert (1988) de Bernard-Marie Koltès, sous la direction de Patrice Chéreau ; il continuera d’interpréter de grands auteurs comme Shakespeare (Le Roi Lear, en 2006-2007), Marguerite Duras (La maladie de la mort, en 1997), Racine (Phèdre, en 1985). Les amateurs du petit écran qui ont été enfants dans les années 60 se rappellent aussi sa fameuse interprétation de Dom Juan, dans le téléfilm de Marcel Bluwal.
On a coutume de dire que la disparition d’un "monstre sacré" coïncide avec la celle d’une époque. Mais la mort de Michel Piccoli est bel et bien une page du cinéma français qui se tourne.
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