Les bruits de la ville
Le 15 décembre 2013
Un chef d’oeuvre méconnu, avant-gardiste et poignant, dont on peine à concevoir qu’il ait pu voir le jour en Allemagne l’année même où Hitler accédait au pouvoir. A redécouvrir de toute urgence.}
- Réalisateur : Werner Hochbaum
- Acteurs : Erich Haußmann, Hilde von Stolz, Harry Frank, Walter von Lennep, Edith Schollwer
- Genre : Drame
- Nationalité : Allemand
- Durée : 1h16mn
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– Production : Ethos-Film GmbH (Berlin)
– Visa de censure : 02.08.1933
– Sortie Allemagne : 04.08.1933
Un chef d’oeuvre méconnu, avant-gardiste et poignant, dont on peine à concevoir qu’il ait pu voir le jour en Allemagne l’année même où Hitler accédait au pouvoir. A redécouvrir de toute urgence.
L’argument :Robert a purgé une peine de cinq ans de détention. Sa femme rate le train et n’est pas là pour l’attendre à sa sortie de prison. En proie aux doutes et aux souvenirs ils vont passer une journée de désarroi, se cherchant et s’attendant mutuellement avant de découvrir que leur amour est resté intact.
Notre avis : Mort en 1946 à seulement 47 ans avant d’avoir pu mener à terme un ambitieux projet de film antifasciste intitulé Der Weg im Dunkeln / Le chemin dans l’obscurité, Werner Hochbaum, dont les admirables premières réalisations (Brüder, 1929 ; Razzia in St. Pauli, 1932) étaient portées par une sensibilité prolétarienne et fortement influencées par l’école soviétique, a terminé sa brève carrière de cinéaste en 1939 avec Drei Unteroffiziere, tribut d’allégeance forcé à une idéologie que toute son oeuvre antérieure récusait de manière viscérale.
- Morgen beginnt das Leben (Werner Hochbaum 1933
Cet acte de soumission de la part d’un franc-tireur notoire n’a pas suffi à empêcher son exclusion de la Reichsfilmkammer / Chambre de la culture du Reich sous le prétexte d’un procès de haute trahison qui avait pourtant débouché sur un non lieu en 1923, ni son envoi au front dès le début de la guerre. Il semble d’ailleurs qu’en mettant l’accent sur la vie privée et les moments de doutes de ses Trois sous-officiers Hochbaum ait insidieusement miné de l’intérieur ce qui aurait du être un pur produit de propagande militariste.
C’est précisément l’irréductibilité à tout sous-texte idéologique qui frappe dans l’étonnant Morgen beginnt das Leben / demain commence la vie (ou Morgen beginnt das Glück) dont on s’étonne qu’il ait pu voir le jour et surtout passer la commission de censure au moment même où l’Allemagne basculait dans la dictature nazie. C’est d’ailleurs en Autriche que Hochbaum réalisera ses deux films suivants, les très beaux Vorstadtvarieté et Die ewige Maske, le succès critique de ce dernier (Prix à Venise en 1935 ; Best Foreign Film du National Board of Review Awards en 1937) incitant la UFA à le rappeler à Berlin où il tournera encore cinq long-métrages (plus deux à Vienne) dont aucun n’est à négliger mais où il ne pourra pas toujours retrouver la liberté créatrice et l’inventivité formelle à l’oeuvre dans le film qui nous occupe.
- Morgen beginnt das Leben (Werner Hochbaum 1933)
Un parti-pris esthétique et éthique radical est affirmé dès le premier plan : bruit de pas lents sur fond d’écran noir qui s’éclaire à peine pour révéler un couloir de prison où un gardien passe de porte à porte après le repas des prisonniers en se contentant de répéter à trois reprises Das Geschirr ! - la vaisselle ! Arrivé devant la cellule du protagoniste, il rajoute cependant, sur le ton de la constatation, un Vous sortez demain, n’est-ce pas ? auquel celui-ci répond simplement par Oui avant que la caméra ne s’approche pour cadrer la main qui tourne la clé dans la serrure.
Economie de dialogues rigoureusement réduits au strict minimum (des séquences entières en sont totalement dépourvues) ; montage très élaboré digne des expérimentations les plus avant-gardistes mais effets jamais gratuits ; mobilité de la caméra qui explore l’espace et parvient à épouser la perception par les personnages d’un monde pas vraiment menaçant mais irréductiblement étrange où les objets et surtout les sons prennent un caractère obsédant et indéchiffrable, propice à la méprise ; rythme réfractaire à la mécanique dramatique qui s’applique à communiquer la sensation d’une durée vide, d’un flottement existentiel que la fin heureuse ne dissipe pas totalement.
- Morgen beginnt das Leben (Werner Hochbaum 1933
On peut noter la proximité avec quelques oeuvres contemporaines considérées à juste titre comme majeures : la scène où le prisonnier fraîchement libéré se bouche les oreilles pour se protéger du vacarme de la circulation rappelle, en plus abouti encore, celle du Berlin Alexanderplatz de Piel Jutzi ; la sensibilité documentaire extrêmement aiguë de la captation de l’espace urbain berlinois fait penser à Ruttman ou au merveilleux Menschen am sonntag de Ulmer et Siodmak ; et la séquence cauchemardesque où les voisines guettent l’homme assis dans la cage d’escalier de l’immeuble puis s’interpellent de leurs fenêtres sur cour pour partager la nouvelle n’est pas sans évoquer M.
Mais le film de Hochbaum n’a pas à craindre la comparaison avec ces titres fameux. Sa force poétique (les séquences du manège ; de la femme seule dans l’appartement ; du café ; de l’averse) et son originalité en font un chef d’oeuvre inconnu à redécouvrir de toute urgence.
- Morgen beginnt das Leben (Werner Hochbaum 1933)
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