Toujours debout
Le 22 janvier 2011
Cette première adaptation du roman de Döblin séduit par sa chaleureuse vivacité et son côté documentaire dans l’esprit de la Nouvelle Objectivité.
- Réalisateur : Piel (Phil) Jutzi
- Acteurs : Heinrich George, Julius Falkenstein, Maria Bard, Margarete Schlegel, Bernhard Minetti
- Genre : Drame
- Durée : 1h28mn
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Cette première adaptation du roman de Döblin séduit par sa chaleureuse vivacité et son côté documentaire dans l’esprit de la Nouvelle Objectivité.
L’argument : Berlin. A sa sortie de prison, le camelot Franz Biberkopf veut reprendre le droit chemin, mais est embarqué dans une affaire de cambriolage. En résistant, il est jeté d’une voiture. Amputé d’un bras à la suite de cet accident, il change alors d’orientation et décide de collaborer avec Reinhold, mauvais garçon notoire, responsable de ses misères. Franz devient un grand voleur perverti par l’argent. Pourtant, deux femmes proches de lui, Mieze, petite chanteuse des rues, et Cilly, son ex-petite amie, s’unissent pour le faire changer de vie. Hélas, jaloux, Reinhold tue Miese. Alors qu’il cherche à venger la mort de la jeune fille, Franz est arrêté. Acquitté, il redevient camelot sur l’Alexanderplatz.
Notre avis : Le Berlin Alexanderplatz d’Alfred Döblin, publié en 1929, est un roman-puzzle mêlant bribes de narration, dialogues, monologues intérieurs, citations bibliques et collages d’extraits de journaux ou de publicités pour composer une espèce de symphonie de la grande ville moderne emportant dans son tourbillon les destinées humaines.
En 1979-80 Rainer Werner Fassbinder a tenté d’en restituer la complexité et la richesse dans une adaptation-fleuve hallucinée de quinze heures qui, entièrement tournée en studio, aurait pu s’appeler Voyage au bout de la nuit.
Le film réalisé par Phil (ou Piel) Jutzi en 1931 adopte des partis-pris totalement différents. L’intrigue est considérablement simplifiée et recentrée sur l’histoire du personnage principal, Franz Biberkopf, dont Heinrich George, très impressionnant, fait une brute naïve et sympathique, éternel jouet de la vie et de ses semblables, mais finissant toujours par se redresser comme les Stehaufmännchen (les culbutos) qu’il vent à la criée dans la scène finale.
Cette héroïsation du protagoniste a souvent été reprochée au film comme une trahison du roman bien que Döblin eut participé à l’écriture du scénario après s’être lui-même chargé d’une réduction radiophonique intitulée L’histoire de Franz Biberkopf.
L’affiche d’époque montrant le héros dressé tel un géant au dessus de la ville illustre ce changement de perspective de manière très exagérée. Car, dans le film, Berlin, la métropole de 4 millions d’habitants, est bien plus qu’un simple arrière plan. Bien souvent la caméra s’écarte de l’action principale pour capter le mouvement incessant de la ville : livreurs qui déchargent des tonneaux de bière, ouvriers réparant les rails des tramways ou prenant leur pause déjeuner, passages du métro aérien, commentaires des passants.
Bien que de nombreux décors de rues aient été reconstitués en studio par Julius von Borsody c’est une prodigieuse impression d’authenticité documentaire qui se dégage de l’ensemble. La caméra extrêmement mobile et les effets de montage à la sovietique rapprochent le film de celui de Walter Ruttman Die Sinfonie der Großstadt (1927) dont l’influence est ici évidente. Mais on pense aussi très souvent au merveilleux Menschen am Sonntag (Les hommes le dimanche) de Ulmer et Siodmak (1929) dont Jutzi retrouve par moments l’allégresse solaire. L’utilisation virtuose du son, en particulier dans la première scène où Biberkopf, sortant de prison, est assailli par les bruits de la ville et désorienté par son agitation frénétique, contribue fortement à cette forte impression de réalisme documentaire dans l’esprit de la Nouvelle objectivité.
Heinrich George, bloc d’humanité emportant forcément l’adhésion du spectateur, éclipse un peu ses partenaires dont les prestations sont pourtant remarquables. La plupart viennent du théâtre et l’intensité physique de leur jeu est restée très moderne, à mille lieues des conventions en usage dans le cinéma de l’époque. Bernhard Minetti dans le rôle de l’ambigu Reinhold et Maria Bard dans celui de Cilly résistent particulièrement bien aux pièges de la psychologie et à leur envahissant partenaire.
Les personnages secondaires bien campés, au parler berlinois populaire, et les décors typiques comme la Kneippe en entresol ou l’arrière-cour où Mietze (Margarete Schlegel), accompagnée à l’orgue de barbarie par un faux aveugle chante Liebe kommt, Liebe geht (L’amour vient et repart, aucun gouvernement ne peut interdire cela), appartiennent à une imagerie prolétarienne popularisée par les dessins de Heinrich Zille ou les chansons de Claire Waldoff. Mais ce folklore, d’ailleurs savoureux, et la fin malgré tout optimiste n’empêchent pas le film de se situer dans la continuité du précédent opus de Jutzi, le très engagé Mutter Krauses Fahrt ins Glück, qui dressait un tableau sans concession de la misère dans le quartier ouvrier de Wedding.
Le discours politique est nettement moins articulé ici, ce qui permit au film d’avoir une assez large diffusion en ces temps de crise économique où la droite radicale gagnait du terrain et où la censure était implacable.
Néanmoins Berlin Alexanderplatz n’a rien à voir avec le cinéma de divertissement de l’époque qui se donnait pour mission de remonter le moral des troupes au moyen d’un optimisme niais et forcé. C’est une oeuvre chaleureuse et brillamment mise en scène qui témoigne d’un authentique regard de cinéaste.
L’évolution de la situation politique ne permit pas à Jutzi de poursuivre dans cette voie. Bien qu’ayant adhéré, peut-être par opportunisme, au Parti Nazi en mars 1933, il ne réalisera plus, à part deux films d’espionnage en Autriche, que des courts-métrages, travaillant aussi comme cameraman pour la télévision naissante, avant de cesser toute activité pour cause de maladie et de mourir en 1946, à pas même cinquante ans.
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